Expression-création libérée en arts graphiques
Je n’ai jamais été très performante en arts plastiques (arts visuels de maintenant). Mais ce qui me gênait toujours en début d’année scolaire, surtout avec les plus grands, c’était le manque d’expression, d’originalité de leurs dessins : maisons tracées à la règle, soleils bien ronds avec des rayons très droits, arbres à troncs rectangulaires surmontés d’une boule verte, etc.
Il fallait absolument casser les représentations modèles, obliger à créer, inventer, faire en sorte que les arts plastiques deviennent un langage permettant de grandir. Pas facile quand les enfants ont été conditionnés à fabriquer du beau, du vrai, du ressemblant, à exécuter sans s’investir.
Alors pour les séances collectives, je donnais du matériel, ou non, et des consignes. Mais des consignes « négatives » : vous faites ce que vous voulez, mais sans maison, sans cheminée qui fume, sans soleil avec des rayons, sans... etc. Je forçais leur liberté. Et subitement les productions devenaient singulières, originales. Ils s’essayaient, ils tâtonnaient, ils osaient. Nous examinions toutes les productions en les commentant ou non, pas pour dire c’est beau mais pour donner nos sensations à la vue de telle ou telle production ou d’un petit détail et mettre le doigt sur l’originalité d’une technique, d’un tracé. La part du maître là me semble essentielle : voir ce qui est nouveau afin d’attirer l’attention des enfants sur un chemin possible et enrichir ainsi les techniques.
Je leur proposais aussi régulièrement les natures mortes. Je composais dans la pièce voisine ou dans le couloir une nature morte sur une sellette. Nous venions l’examiner sous tous ses angles en tournant autour. Chacun pouvait s’exprimer, décrire ce qu’il voyait, ce qu’il aimait, le tout ou une partie. Une fois l’observation terminée, nous rentrions en classe et nous nous installions devant notre feuille à dessin. La consigne : dessiner la nature morte. Le résultat était toujours superbe : autant de tableaux différents qu’il y avait d’enfants. Dans chacun on pouvait reconnaître des éléments de la nature morte mais traités différemment. Mais parfois on ne reconnaissait aucun objet de la nature morte. Les enfants recomposaient à leur idée, cela devenait petit à petit de l’art abstrait.
Ils avaient aussi à disposition sur leur table un bloc sténo sur lequel ils pouvaient dessiner (crayon noir ou bic) librement à toute heure de la journée.
Et lorsque les enfants se trouvaient en présence d’œuvres d’artistes (expositions visitées, livres consultés, banque d’images de la classe…) et qu’ils reconnaissaient des ressemblances avec des dessins de la classe, ils ne manquaient pas de dire que l’artiste avait fait comme eux.
Le chemin vers la culture était ouvert.
Monique Quertier, 27 octobre 2020