Interview de Monique Quertier Studio Zef 13 février 2015
Je te laisse te présenter.
Je suis Monique Quertier, institutrice à la retraite depuis une bonne dizaine d’années maintenant. Je suis membre de l’ICEM, Institut Coopératif de l’École Moderne. J’ai pratiqué la Pédagogie Freinet pendant pratiquement toute ma vie professionnelle. J’ai beaucoup œuvré pour la Méthode naturelle d’apprentissage. À l’ICEM, j’ai été responsable d’un groupe départemental (93), j’ai aussi travaillé au sein du secteur math.
On va parler aujourd’hui des mathématiques avec la Méthode naturelle de mathématique, ce que tu nommes Débat Mathématique Libre.
Nous l’appelons DML parce que nous voulons inclure dans ce nom toutes les caractéristiques de cette démarche d’apprentissage : débat mathématique libre, collectif, débat pour la notion de groupe et mathématique libre parce que c’est la liberté d’expression qui est donnée aux enfants.
La Méthode naturelle de mathématique a été initiée par Paul Le Bohec qui a été un des grands collaborateurs de Célestin Freinet.
Dans les années 60, PLB qui pratiquait la Méthode naturelle en classe dans tous les domaines s’est dit : « Pourquoi pas la Méthode naturelle en mathématique, si j’essayais ? »
Son idée, c’est d’ouvrir des champs de liberté aux enfants pour leur donner accès à la connaissance et que chacun puisse construire sa propre culture au sein d’un groupe ?
Sa définition de la Méthode naturelle c’est la construction d’une culture personnelle sur la base de ses données de départ, par le moyen de l’expression création mais au sein d’un groupe positif. Sans le groupe, la MN ne peut pas fonctionner.
Lecture d’un texte sur Paul Le Bohec, texte écrit par Loïc Le Guillouzer
Paul Le Bohec par Loïc Le Guillouzer
De 1947 à 1970, Paul Le Bohec a vu défiler des générations de petits Trégastellois aux écoles de Trégastel. En 1953, j'ai eu la très grande chance d'en faire partie et d'être accueilli dans sa classe avec ceux de mon âge au cours préparatoire. Je ne dirais pas que je me suis assis sur les bancs de son école, car cette image poussiéreuse ne collerait pas avec la pédagogie de Paul. Ses méthodes étaient, comme je l'entendais dire pas plus tard qu'hier par une Trégastelloise dont les enfants avaient fréquenté sa classe, «modernes et colorées». À la vérité nous étions plus souvent debout qu'assis, à travailler dans nos ateliers d'imprimerie, de dessin, de céramique, de poterie, solfège, musique ou de créativité en tous genres. La classe de Paul était plutôt comme une ruche dans laquelle nous, les enfants, échangions de façon enthousiaste et ouverte avec notre maître, mais aussi entre nous. Paul avait ce souci permanent de solliciter tous les aspects de l'expression-création et de rechercher ce qu'il y avait de meilleur en chaque enfant. Avec lui, pas de bonnet d’âne : nous étions tous bons en quelque chose. Il était aussi celui qui nous faisait sortir de la classe, pour des séances de sport et des études de terrain sur les grèves ou dans la nature. Nous avions tous beaucoup d'admiration et d'affection pour ce grand bonhomme, footballeur de surcroît, d'une gentillesse à toute épreuve.
Paul ne nous préparait pas simplement à un avenir professionnel car sa mission et sa pédagogie étaient beaucoup plus vastes : il nous préparait à notre vie d'hommes et de femmes (puisque par la suite les classes sont devenues mixtes) et au-delà de l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et de l'arithmétique qui se faisaient de façon tout à fait naturelle, nous avions aussi intégré pour la vie l'importance de la musique, de la création littéraire ou artistique. Nous savions que chaque enfant, chaque futur adulte, avait son domaine de prédilection et que chacun pouvait trouver sa place dans un monde en pleine évolution. C'est d'ailleurs ce que me disait tout récemment un ancien élève de Paul lui aussi, un peu plus âgé que moi, qui se reconnaîtra peut-être dans ces propos : nous, petits Trégastellois de l'époque, nous nous en sommes bien sortis, et si chacun a su se réaliser dans sa voie, il le doit en grande partie à Paul Le Bohec qui nous avait armés de confiance pour la vie. Sur un plan plus personnel, j'ajouterais que rétrospectivement, ce qui m'avait impressionné chez Paul dans les trop rares occasions où nous nous sommes rencontrés par la suite, c'est cette façon qu'il avait d'associer les notions de travail et plaisir; si j'en ai fait à mon tour comme une règle de base dans ma vie professionnelle puis dans mes responsabilités d'élu, c'est en grande partie à lui que je le dois.
Je rappellerai pour conclure l'un des tout derniers passages de Paul Le Bohec à Trégastel : lorsqu'il y a bientôt un an de cela, je l'avais invité à revenir à l'école de Trégastel pour la signature de son livre au titre révélateur : « L'école, réparatrice de destins ? », il avait accepté avec enthousiasme. Ce jour-là, ses anciens élèves sont venus en grand nombre, certains de très loin pour des retrouvailles chaleureuses. J'ai pu remarquer que Paul nous reconnaissait tous, qu'il se rappelait sur chacun d'entre nous un détail caractéristique et qu'il avait conservé son extrême gentillesse. Sans nostalgie, mais avec un plaisir partagé, nous avons donc échangé sur ces années d'école où nous faisions ensemble l'apprentissage de la vie. Je ne sais plus si j'avais pensé à le remercier ce jour-là ; quoi qu'il en soit, je le fais ou le refais aujourd'hui du fond du cœur, en mon nom personnel et aussi au nom de tous ces petits Trégastellois devenus grands : merci Paul !
Loïc Le Guillouzer Mercredi 14 janvier 2009
Toi, Monique Quertier, comment es-tu venue à la Méthode naturelle de mathématique, au débat mathématique libre ?
Je pratiquais la Méthode naturelle dans ma classe dans tous les domaines mais en mathématique, c’était un peu plus traditionnel. Un beau jour j’ai rencontré Paul Le Bohec qui venait animer un groupe dans le département 93 et il nous a mis en situation de création mathématique : « Prenez un papier et un crayon et faites une création mathématique. » Et nous avons discuté autour des créations. Pour moi ce fut une révélation : « Ah mais oui c’est vrai ! Comment se fait-il que je n’y aie pas pensé plus tôt, c’est comme cela qu’il faut faire ! » Et dès le lendemain dans ma classe, je me suis mise à pratiquer la création mathématique. Ce qui a été excessivement important c’est que je suis restée en relation avec Paul Le Bohec. J’ai mis en pratique dans ma classe, le soir je rédigeais des comptes rendus de ce qui s’était passé, j’allais à la poste et j’envoyais par courrier à Paul qui me répondait par retour de courrier. À l’époque, pas d’internet ! Paul écrivait des commentaires sur mon travail, me donnait des conseils, proposait des pistes de travail que lui voyait. Nous avons été tous les deux en compagnonnage pendant deux ans. C’est ainsi que j’ai appris à faire la création mathématique, avec lui, avec son aide.
Tu as travaillé avec cette méthode-là pendant des années dans ta classe ?
J’ai pratiqué pendant vingt ans, jusqu’à mon départ à la retraite.
Et maintenant, comment ça se passe l’activité autour des mathématiques ?
Aujourd’hui je continue, je fais partie d’un petit groupe de travail. Les jeunes qui débutent et qui veulent se lancer en DML me demandent de les aider, maintenant c’est facile par l’internet. Ils m’envoient leurs comptes rendus de séances avec les propositions des enfants et ce qu’ils en ont fait, je regarde tout ça et j’envoie des pistes possibles, pistes mathématiques que j’entrevoie, tout ça pour nourrir le maître afin qu’il soit plus à même de mieux entendre les réflexions des enfants. Je me déplace aussi dans les animations pédagogiques ou dans les réunions de groupes départementaux de l’ICEM pour faire des animations autour de la Méthode naturelle.
Avant d’entrer dans le vif du sujet et de voir le déroulement d’une séance de DML, il y a un préalable que tu souhaitais aborder, c’est comment on apprend parce que tout découle de ça.
Si j’ai adhéré si vite à cette façon de faire, le DML, c’est parce que ça correspond à la façon dont les enfants apprennent. On apprend toujours à partir de ce qu’on connait déjà. Une information qui vient de l’extérieur reste au stade de l’information si elle n’est pas reliée à un savoir existant. La difficulté, c’est le savoir existant de l’enfant qu’il faut faire exprimer. Il est important de partir de la création de l’enfant et de ce que l’enfant sait. À partir de ce que l’enfant exprime et qu’il expose au groupe, le groupe entend les propositions de l’enfant, entend ce qu’il pense et le groupe peut critiquer, argumenter, détruire, enrichir, aller plus loin que la pensée de l’enfant qui s’est exprimé.
Les conditions de la mise en œuvre des séances, à quoi faut-il faire attention, quel cadre à respecter, quelle posture de l’enseignant, quels conseils peux-tu donner aux enseignants qui veulent se lancer dans le DML, les aspects qu’il faut connaître ?
Pour pouvoir fonctionner parfaitement, il faut que le groupe fonctionne.
1 La première des préoccupations, c’est former son groupe, tous les échanges se faisant à l’intérieur du groupe. Donc déjà si on a une classe de 25 ou 30, on ne peut pas faire une séance avec 30 enfants. Diviser la classe en deux et on travaille avec la moitié de la classe. Dans les classes Freinet c’est facile parce qu’il y a tout un système de fichiers autocorrectifs, travail individualisé, les enfants qui ne travaillent pas avec le groupe et le maitre sont occupés à autre chose.
2 Il faut organiser le groupe, il faut que chaque enfant puisse s’exprimer et que la parole de chaque enfant soit entendue, ça aussi c’est un apprentissage.
3 L’installation matérielle est importante aussi. On s’installe en rond de façon à ce qu’on puisse tous discuter et entendre ce que chacun dit pour pouvoir rebondir dessus. Un vrai débat, un vrai échange de pensées parce que dans le groupe quand on parle mathématique, c’est une pensée de groupe qui va se développer à l’aide de la pensée individuelle de chacun, donc les conditions matérielles sont hyper importantes.
4 Et le maître qui est là il faut qu’il soit attentif à tout ce que les enfants disent de façon à pouvoir réagir : « Ah tu as dit ça et pourquoi as-tu dit ça ? Explique-toi, va au tableau, montre-nous…» C’est au maître d’animer le débat de façon à faire s’exprimer au maximum tous les enfants.
Pour revenir sur la posture de l’enseignant, ce n’est pas celui qui est tout puissant, celui qui apporte les connaissances, doit-il se mettre en retrait par rapport au groupe, comment cela se passe-t-il ? Tu parles d’animateur…
J’ai dit animateur parce que c’est lui qui anime le débat dans le groupe mais il n’est pas en retrait par rapport au groupe, il fait partie du groupe, il est une intelligence parmi les intelligences des enfants du groupe. La différence c’est qu’il ne vient pas apporter des solutions, il fait rebondir le débat. Par exemple si un enfant dit : « Là je ne suis pas d’accord, ce n’est pas un carré, c’est un losange », le maitre ne dit pas : « Oui tu as raison », mais : « Pourquoi dis-tu cela, comment le sais-tu ? » Il pousse la pensée de l’enfant au maximum pour que l’enfant exprime au maximum ce qu’il pense et de ce fait-là, les autres rebondissent, apportent aussi leurs savoirs. Dans ce travail de groupe, chaque enfant individuellement amène sa pensée et le groupe fabrique une pensée collective, le groupe a aussi sa pensée. J’ai toujours bien aimé appeler cette façon de travailler une méthode individuelle/collective parce qu’au départ chaque enfant amène sa problématique, amène sa pensée et la propose au groupe et le groupe travaille cette pensée et chaque pensée individuelle pour en construire une autre, la pensée du groupe. La séance terminée, chaque enfant repart avec ce qu’il a pu engranger, entendre, apprendre de ce débat.
Quand on veut démarrer, la première séance, que fait l’enseignant ?
Ce n’est pas compliqué, j’ai les enfants devant moi, chacun un papier, un crayon et je donne comme consigne : avec des points, des chiffres, des signes, des traits, vous faites une création mathématique, très vite en quelques minutes. En général, pas d’hésitation, ils produisent quelque chose. Je ramasse cinq créations produites, au hasard que je reproduis au tableau. Nous nous installons face au tableau et je dis : « Première création, vous la regardez en silence d’abord et ensuite vous me direz ce que vous voyez. » Et c’est parti, nous parlons…
Mais cela peut partir dans plein de pistes différentes ?
Absolument. La première chose que je leur demande c’est d’observer, ils observent donc pendant 30 secondes et ensuite ils disent ce qu’ils voient. La première étape, ils décrivent en général : « Je vois des chiffres… là c’est un 4… oh mais il est à l’envers… » « Ah bon comment sais-tu qu’il est à l’envers ? » « Ce n’est pas comme ça… » « Alors viens le faire. » Et tout le monde de s’entrainer à dessiner un 4 etc.… Ou bien « Je vois ici un carré… je ne suis pas d’accord, c’est un rectangle… » « Pourquoi dis-tu que c’est un carré ? » Et le débat commence. C’est très facile, ça part tout seul, chacun y va de son idée sur rectangle et carré. Mais surtout, à chaque fois qu’un enfant fait une proposition, on accepte ses dires mais on lui demande de se justifier. Je ne dis jamais « oui tu as raison » ou « non ce n’est pas ça ».
Il s’appuie sur le groupe d’enfants pour qu’eux-mêmes amènent le savoir ?
Chaque enfant amène sa connaissance qui est commentée, critiquée et augmentée par la connaissance des autres, avec évidemment la part du maître qui guette les attitudes des enfants. Parfois des enfants ne sont pas forcément à l’aise pour parler tout de suite devant le groupe, alors si je vois un enfant qui se gratte la tête ou fronce le nez, je l’interpelle : « On dirait que tu n’es pas d’accord, qu’en penses-tu ? »
L’enseignant est là pour faire parler celui qui est dans son coin et n’ose pas prendre la parole.
L’enseignant est donc garant de ce bon fonctionnement et va participer à la validation d’un théorème, d’un concept mathématique… qui va être remis en mots par lui avec un langage mathématique propre…
Pas forcément, ce sont les enfants qui arrivent à trouver le langage qui est le bon et ça c’est assez magique. Les séances de DML sont aussi des séances de langage. Par exemple un enfant dit : « Ce côté-là il n’est pas comme ça mais comme ça », en faisant bouger ses bras et mains ou en montrant du doigt, je demande de le dire avec des mots. Tout le monde s’y met alors et les enfants arrivent à la bonne formulation qui peut être par exemple : les côtés opposés sont égaux dans un rectangle.
Peux-tu raconter une expérience particulière dans une classe où tu t’es rendue récemment ?
C’était chez Emmanuel classe de CM. Je travaille avec un groupe. La création au tableau représente un cercle et un carré entrelacés. Première réaction d’un enfant : « Je vois un cercle et un carré et le cercle est devant le carré. » Un autre enfant réagit : « Mais non c’est le carré qui est devant le cercle. » Et la discussion s’engage sur cette représentation. Une proposition : « Et si on les découpait dans du papier, on pourrait mieux voir ? » J’ai donc trouvé du papier, deux couleurs, et ainsi les enfants ont manipulé le carré et le cercle. Ils ont observé ce qu’ils voyaient, les parties cachées, et ont pu réaliser une meilleure représentation au tableau en effaçant soit les parties cachées du cercle, soit les parties cachées du carré. Un enfant dit : « Nous avons mis le cercle devant le carré, ensuite le carré devant le cercle, peut-on faire autrement ? » « Non » « Mais s’il y avait une autre forme, si on ajoutait un triangle, qu’est-ce qui se passerait ? » « Il y aura trois représentations, le triangle devant, derrière ou entre les deux autres. » Je laisse dire mais invite à la représentation au tableau. Moment de dessins au tableau et ils finissent par trouver six représentations. Je propose alors de faire un bilan : deux formes, deux possibilités de les placer, trois formes, six possibilités… et un enfant intervient : « Et si on avait quatre formes, il y aurait huit possibilités parce qu’à chaque fois c’est le double. » Bon, une hypothèse est émise, je ne dis rien et les enfants cherchent, mais à la place de dessiner les représentations, ils écrivent en nommant les formes par la première lettre de leur nom : CRTL, carré, rond, triangle, losange. Ils ne cherchent plus à représenter justement mais le nombre de possibilités de placer les formes. Ils déclinent alors un certain nombre de possibilités, d’abord dans le désordre CRTL, LRCT, LTRC etc. puis en trouvant une méthode pour ne pas en oublier.
Ils commencent par de la géométrie, puis abstraction, algèbre…
La problématique a évolué, ils ont dépassé la difficulté de représenter le 3D sur un plan, la recherche maintenant est orientée vers un calcul de possibilités. Étonnements de tous quand ils trouvent une neuvième, dixième… possibilité : « Oh, il y en a plus que huit, on s’est trompé ! » Ils trouvent les vingt-quatre solutions et nous nous arrêtons là, avec un nouveau questionnement : « Et si il y avait cinq formes ? » Je suppose que lors de séances suivantes, quelques jours après, un mois après, la situation se reproduira dans d’autres créations et qu’ils finiront par trouver la loi qui permet de savoir le nombre de possibilités, factorielle quatre c’est 4x3x2x1. Ils ont suivi un chemin depuis une représentation graphique de l’espace en passant par abstraction, calcul, algèbre… jusqu’à la découverte d’une formule.
Mais avec les factorielles, on n’est plus dans le programme de CM ?
Pas de soucis, cela se gère très bien, l’important dans ce travail, c’est le travail de la pensée de l’enfant. L’école pour moi est là pour apprendre à penser. En travaillant de cette façon, on apprend aux enfants à penser. Une fois que les enfants commencent à réfléchir, commencent à se poser des questions, émettre des hypothèses, on est bon, on entre dans la culture.
Je pense à quelques obstacles qui pourraient paraitre insurmontables pour quelques enseignants, par exemple le programme, on sait qu’il est lourd, qu’il est chargé chaque année en mathématique particulièrement, est-ce que ne faire que du débat mathématique libre à partir des créations permet de réaliser tout le programme en mathématique de l’année ou pas ?
Absolument, on s’aperçoit que lorsqu’on fonctionne en séances de DML, au bout de deux ou trois mois, on a déjà fait tout le programme prévu pour l’année. Quand je dis on a déjà fait, je veux dire on a déjà abordé toutes les notions du programme. En enseignement traditionnel, on fait les leçons en suivant une programmation mais on n’est pas sûr que les notions soient acquises. Ce dont on est sûr avec le DML, c’est que toutes les notions abordées ont été trouvées par les enfants, travaillées par les enfants, c’est de la valeur sûre, c’est une connaissance qui est sûre et réelle. Lors d’une séance de DML, si on traite six créations mathématiques, on aborde de la numération, de la géométrie… on aborde plein de notions qui peuvent sembler être des débuts, des ébauches, mais c’est répété tous les jours, ça c’est important pour que la pensée puisse continuer son chemin d’une journée à l’autre. Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, la pensée individuelle de l’enfant se construit à l’aide du groupe, au sein du groupe, la pensée collective du groupe évolue et on arrive à des connaissances qui sont des connaissances sûres et réelles et on a largement débordé le programme.
Un autre obstacle qui me vient en tête, pour certain ça peut être de se dire : je donne une feuille blanche pour le départ mais où va-t-on arriver ? Ça peut faire peur, on n’a pas de fiches de préparation toute prête avec nos objectifs et on va peut-être aller dans des domaines qu’on ne maitrise pas complètement au niveau théorique. Je t’entends parler des factorielles, peut-être que c’est un peu compliqué pour certains enseignants d’aborder ça.
Ce qui est magique, c’est quand on se lance en séances de DML avec des enfants, on aborde des notions qui nous font réfléchir nous. Quand j’ai commencé à travailler comme ça, je suis descendue à la cave rechercher tous mes manuels de mathématique de collège et lycée parce que les enfants me proposaient des choses et je me disais : « Tiens c’est drôle, qu’est-ce que c’est, comment ça s’appelle… » Et voilà, moi j’ai parfait ma culture mathématique en démarrant les séances de DML avec eux.
C’est aussi placer certains dans une zone d’inconfort ?
Évidemment c’est inconfortable, bien sûr c’est déstabilisant. Mais quand on commence, qu’on croit à ce qu’on fait, qu’on est persuadé que c’est efficace, que l’on voit des résultats immédiats, alors on fonce. Et puis quand on est en classe et qu’on demande aux enfants d’engranger, de réfléchir, d’apprendre à penser et de se cultiver, si le maitre ne donne pas une image identique à ce que l’on demande d’eux… Il faut aussi que le maitre ait envie d’apprendre, qu’il ait envie de se perfectionner, de se cultiver. Je pense que l’image de soi que l’on montre aux enfants est importante, on apprend avec eux, moi j’ai appris avec eux. Et ça il faut l’accepter, c’est vrai. Il faut accepter de ne pas pouvoir forcément répondre à toutes les questions dans l’immédiat, de ne pas forcément être capable de tout voir tout de suite. Mais ce qu’il faut bien sentir, c’est que : « Ah là tiens, c’est drôle, ça me rappelle quelque chose, il faut que je cherche et hop, on cherche… » On est en situation de recherche mathématique avec les enfants et ça c’est très positif.
Je voulais aborder aussi le calcul vivant qui est différent du DML, peux-tu expliquer les différences ?
Le calcul vivant en général part d’une situation ou d’un problème qui se présente dans la classe : gâteau à partager, régler un problème d’argent pour une sortie… toute situation qui apparait forcément dans une classe coopérative. Tous ensemble, on essayait de trouver la solution au problème, mais une fois que le problème était résolu, qu’on avait trouvé la solution, c’était terminé. La différence avec le DML, c’est qu’on est dans la mathématique, on est dans l’abstraction et ce n’est jamais terminé, il y a toujours une remarque d’un enfant, il y a toujours un « et si » comme l’exemple de tout à l’heure : « et si on ajoutait une forme… et si on faisait… et si… » et c’est comme cela qu’on avance dans le cheminement de la pensée mathématique. Ce n’est pas pour faire une critique du calcul vivant, dans les classes Freinet, il est là, il existe et on en tient compte bien évidemment.
Je voudrais revenir sur l’évaluation. Je suppose qu’il y a une phase d’évaluation individuelle après une séance où on a mis en évidence un concept ?
Déjà premier point, quand on est tous les jours avec un groupe d’enfants au tableau qui font des mathématiques, l’enseignant finit par avoir une connaissance parfaite de ce que chaque enfant sait. Et mieux, chaque enfant sait ce que l’autre enfant sait. Donc eux-mêmes, le groupe sait très bien déterminer ce qu’ils savent et ce qu’ils ne savent pas. Ensuite, j’avais l’habitude avant chaque vacance, au moment du remplissage des carnets destinés aux parents, de faire passer une évaluation mathématique en me servant des évaluations de mes collègues de même niveau classe et mes enfants s’en sortaient très bien en général. Pour moi personnellement je n’avais pas besoin de le faire mais c’était important pour les parents et l’institution qu’une évaluation ait été passée, puis rangée dans le classeur. Les enfants placés devant cette évaluation, pour eux sur la feuille, chaque exercice étant considéré comme une création à étudier : « Qu’est-ce que je vois ? Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce qu’on me demande ? » et ils n’étaient jamais à court d’idées, ils trouvaient toujours quelque chose à dire ou à faire à partir de ce qu’on leur demandait de faire. Pas de soucis, ça fonctionnait bien. Je me suis aussi aperçu au fil des années que les élèves qui passaient dans les classes supérieures s’en sortaient très bien en mathématiques et souvent mieux que leurs camarades venus d’ailleurs.
J’imagine que des parents venaient te voir pour te demander quand est-ce qu’ils allaient faire des maths ? Quand est-ce qu’il y a des leçons de maths dans votre classe ?
Ça n’arrivait pas trop parce que les enfants à la maison parlaient de ce qu’ils faisaient, ils avaient des connaissances savantes. C’étaient plutôt des parents curieux qui venaient me voir en me disant : « Comment ça se fait, il nous parle de ça et ça, comment êtes-vous arrivée à leur apprendre ça ? » D’autres n’étaient pas curieux, leurs enfants étaient heureux à l’école, ils travaillaient et ça leur suffisait, ils étaient contents. J’ai toujours exercé en ZEP et très peu de parents venaient me voir pour me poser des questions. Ceux qui venaient, je montrais, j’expliquais, aucun problème. En plus comme je travaillais avec la moitié de la classe, les enfants avaient à leur disposition tout un jeu de fichiers autocorrectifs, les fiches remplies étaient rangées dans des classeurs montrables à la maison.
On imagine qu’en écoutant cette émission, certains enseignants vont vouloir se lancer, j’espère, vers qui peuvent-ils se retourner, s’orienter, vers quel organisme ?
Je pense que le DML est pratiqué par des gens membres de l’ICEM. Il faut aller vers le site de l’ICEM et y chercher des textes que j’y ai déposés. Il faut lire le livre de Paul Le Bohec, le texte libre mathématique, éditions ICEM. Je réponds aussi aux questions que l’on me pose via internet.
Peux-tu donner tes coordonnées ?
Mon adresse courriel : monique.quertier@icem-freinet.org
As-tu d’autres choses à nous faire part autour de la Méthode naturelle de mathématique ?
Cette façon de travailler, c’est très jouissif en fait. Les enfants prennent énormément de plaisir à travailler et du fait de ce désir d’apprendre, de cette joie de travailler, ça fait boule de neige : on est bien ensemble, on avance ensemble, c’est un réel plaisir et c’est très efficace. Ce que j’aimerais aussi dire, c’est que cette façon d’être c’est une façon d’apprendre à penser. Les enfants ne sont plus jamais secs, muets, devant quelque chose, ils ont toujours l’esprit d’analyse, ils prennent du recul par rapport à ce qu’on leur offre et je pense qu’à notre époque, après ce qui s’est passé, c’est excessivement important que les enfants puissent avoir une analyse de ce qu’ils voient, de ce qu’ils rencontrent. Ils ne sont plus dans les mécanismes, dans les automatismes, ils apprennent à penser par eux-mêmes. Le DML développe énormément cette façon d’être qui me semble excessivement importante à notre époque.
Certainement beaucoup d’élèves se débloquent avec ces mathématiques, beaucoup d’élèves sont traumatisés par les maths, par l’abstraction, qui ne sont jamais rentrés dans l’abstraction des mathématiques.
Je m’aperçois en animant des séances de DML avec des adultes, que ces adultes au départ disent : « Ce n’est pas possible de participer, je suis nul en math ! » Mais après une séance, souvent j’entends : « Ah mais je ne savais pas que je savais ça. »
Merci Monique !