Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre
Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre

La posture du maître

Et si liberté et contrainte pouvaient s'articuler ?

La part du maître, une condition essentielle à l'expression libre des enfants

En 1972, date à laquelle Paul le Bohec a écrit l’article " La non non-directivité ", 68 n’est pas très loin. Ô comme je m’en souviens ! J’étais au lycée. J’ai fait partie de ceux qui avec un rare élan ont remis en cause l’enseignement autoritaire et vertical reçu depuis l’enfance, enseignement qui avait imprimé en moi, et pour de longues années, un cruel manque de confiance en moi et dans ma faculté de penser.

Après 1968, il est désormais devenu interdit d’interdire, et si j’en crois ce qu’écrit Paul le Bohec, nombre d’enseignants ont lâché la bride aux enfants au point qu’ils les ont abandonnés à leurs liens.

Où se trouve donc la juste attitude ? Dans la directivité, dans la non-directivité ?

Pour grandir, l’enfant a besoin de l’adulte pour découvrir le monde extérieur, mais aussi son monde intérieur. C’est un besoin universel de l’enfant et du jeune adulte auquel répondent les parents, les enseignants et parfois même les éducateurs spécialisés. Évidemment pas à la manière d’avant 1968. Mais alors comment ?

Ces dernières années, j’ai travaillé avec Paul Le Bohec et Monique Quertier. En tant que travailleur social, j’avais envie de comprendre comment ils s’y prenaient avec les enfants. Je les ai écoutés, j’ai appris à sentir ce qu’ils sentaient. J’ai compris à quel point le respect de l’expression de l’enfant était central dans leur attitude éducative. Mais j’ai aussi compris que pour obtenir des enfants qu’ils soient auteurs de leurs productions, ils pratiquaient ce que Philippe Meirieu appelle la contrainte féconde.

La contrainte féconde est celle qui met les enfants face à l’obligation de choisir un chemin dont ils seront les auteurs exclusifs, là où se trouve et se construit leur liberté de penser et d’agir. Vous dessinez ce que vous voulez, sauf des maisons, des cheminées qui fument, des princesses et des rois etc., disait Monique aux enfants pour obtenir un dessin libre. Obligés d’imaginer autre chose, les enfants créaient. Émergeait alors une expression nouvelle dont ils étaient souvent eux-mêmes surpris, car dans l’ignorance qu’ils l’avaient en eux depuis toujours.

La juste attitude ne serait-elle donc pas la liberté dans la contrainte ? Un jour, Monique m’a dit : le maître est un équilibriste. Elle éprouvait cette sensation de marcher constamment sur un fil lorsqu’elle était avec les enfants : équilibre entre directivité et non-directivité, sérieux et rire, savoir et ignorance, dire et ne pas dire etc. autant de choix qu’elle faisait dans l’instant avant même d’y avoir pensé.

Si le maître participe au groupe classe, il est aussi celui qui possède, normalement, la culture la plus ancienne, la plus entraînée, celle qui va permettre aux enfants d’être non pas modélisés, mais de se faire une tête bien à eux.

Francine Tétu