Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre
Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre

Importance de la vie et du groupe

L’importance de la vie et de la formation du groupe dans une classe Freinet

Prémices de la mise en œuvre de la Méthode naturelle dans ma classe, école « Les Écondeaux », Épinay-sur-Seine, année scolaire 1976/1977

La Pédagogie Freinet était essentielle en 1976 autant qu’elle peut l’être aujourd’hui. Les enfants étaient les mêmes, avec des problématiques très proches : violence, délinquance, pauvreté…
« Les Écondeaux » est une école qui a ouvert ses portes en 1976. Sa construction se situe en même temps que les logements sociaux du quartier. C’était l’époque des constructions selon la technique du « chemin de grue ».
Des immeubles avaient été construits en parallèle à une voie de chemin de fer utilisée pour le transport des marchandises qui causait beaucoup de nuisances sonores au quartier. Le calme est revenu, sauf bien entendu pour les habitants des immeubles en question !

J’ai participé à l’ouverture de l’école. Nous avions très peu de matériel. J’avais une classe de 25 CM2, qui étaient à parité garçons et filles, issus de dix-sept pays différents. En début d’année le groupe n’existait pas. Il n’y avait pas de passé scolaire ni de passé de quartier communs entre les enfants.
Cela n’a pas été facile au départ. J’ai patienté, j’ai maîtrisé… Mais peu à peu, cette autorité a disparu au fur et à mesure que chaque enfant trouvait sa place au sein de groupe.
À l’époque, je connaissais le mouvement Freinet, mais ne l’avais pas encore intégré.
J’ai commencé par faire écrire, s’exprimer les enfants. Nous nous sommes lancés dans un journal recueil de textes qui s’appelait : « Aux Écondeaux, on imprime ». Et toutes les séquences pédagogiques étaient organisées autour d’un débat qui permettait à chacun d’exprimer ses représentations.
En même temps, parce que je n’étais pas sportive et que cela ne me mettait pas à l’aise vis-à-vis des enfants qui avaient besoin d’activités physiques, j’ai proposé à la classe de l’inscrire à une rencontre départementale de « passe à dix », tout en les prévenant que je ne leur serai pas d’un grand secours pour l’entraînement.  « Ne t’inquiète pas, on va se débrouiller » m’ont-ils répondu. À noter que je leur avais donné une contrainte de départ : tous les enfants de la classe doivent participer, les petits comme les grands. Il y avait en effet des enfants très corpulents et d’autres de petites tailles.
Ils se sont organisés tout seul, moi j’étais là pour leur prévoir les conditions de leur entraînement. Les grands garçons formaient les plus timorés, filles et garçons. Ils avaient pris le problème en main. Nous avons rencontré l’école voisine, puis les écoles gagnantes des autres quartiers de la ville, et nous avons remporté la coupe de la ville. Nous avons toujours joué le jeu : tous les enfants de la classe participaient. Ce qui n’a pas toujours été le cas des équipes que nous avions rencontrées.

C’est parce nous avions commencé par la vie, par l’expression-création et la prise en compte des représentations que le groupe s’est formé.
Les enfants qui ont gagné la coupe, s’ils sont allés si loin, c’est parce qu’ils étaient soudés, qu’il y avait de l’entraide. Ils travaillaient à partir de leurs propres connaissances, ils avaient la possibilité d’exprimer leurs représentations qui se transformaient grâce à l’échange, l’interaction, la coopération. À cette époque-là, je favorisais déjà le travail de la pensée. Je n’apportais pas le savoir, je les mettais dans les conditions pour qu’ils se l’approprient. J’ai toujours fait en sorte que le chemin que l’enfant suivait individuellement soit le résultat d’un travail de groupe.

Le travail sur la pensée entraînait forcément une modification du comportement que je ne travaillais pas directement. Il avait des répercussions sur les relations que les enfants développaient entre eux. Dans la classe, où je permettais à chacun de grandir intellectuellement, je n’avais pas de règles de vie ni de sanctions écrites préalablement : nous vivions, et s’il y avait besoin d’une règle, et ça arrivait, nous la construisions ensemble et nous l’utilisions le temps de la résolution du problème. Au-delà, elle disparaissait purement et simplement. Elle devenait inutile parce qu’intégrée.

C’était un groupe où chaque enfant trouvait sa place par le travail qu’il pouvait y faire.
J’y ai pris moi-même mon plaisir. En effet, quelle joie de voir les enfants réussir là où justement je n’avais aucune compétence. Cf. « Le maître ignorant » de Jacques Rancière.

Une autre expérience : la confiance réciproque
« Je vous parle d’un temps » où il était possible de faire des expériences sans que cela mette en émoi toute la communauté éducative.

Avec cette même classe, nous sommes allés visiter Beaubourg. Avant d’entrer dans l’enceinte, j’ai proposé aux enfants qu’ils aillent où ils voulaient au sein du musée, avec une seule contrainte cependant : qu’ils soient revenus une heure plus tard à notre point de rendez-vous. Les trois-quarts d’entre eux sont partis à la conquête de cet espace de liberté qui leur était offert, un quart moins hardi est resté avec moi. Une heure plus tard, ils étaient tous au rendez-vous, les uns ayant passé leur temps dans les escaliers mécaniques, qui pour en vérifier leur fonctionnement, qui pour découvrir Paris autrement. D’autres sont allés dans les salles pour y découvrir des tableaux. D’autres… Ils ont tous fait des expériences différentes.
C’est la confiance réciproque qu’il y avait entre les enfants et moi qui a rendu possible ce type d’expérience.

J’ai continué depuis et jusqu’à la fin de ma carrière en 2003 à organiser mes classes en plaçant la Méthode naturelle d’apprentissage au centre de mes préoccupations : mise en place des conditions favorisant l’entrée de la vie, l’émergence des représentations, l’expression création, le travail de la pensée, la formation du groupe… pour permettre aux enfants de vivre tout en apprenant.

La Pédagogie Freinet leur permet de prendre conscience de leur valeur, de la puissance de vie qui les habite, celle qui les pousse sans cesse à progresser « à croître, à se perfectionner, à se saisir des mécanismes et des outils, afin d’acquérir un maximum de puissance sur le milieu qui l’entoure ». (Freinet, la Méthode naturelle)

Monique Quertier, 16 octobre 2012
Texte paru dans Le nouvel éducateur n°210 décembre 2012