Ce sont deux dispositifs contradictoires et en aucun cas complémentaires.
La différence essentielle est la place, le rôle du groupe.
Et si la création mathématique collective était le choix du maître dans une démarche de Méthode naturelle, laissant la recherche mathématique à la seule initiative de l’enfant dans une démarche de tâtonnement expérimental ?
Les créations mathématiques sont les productions des enfants faites avant la séance, très rapidement et qui seront reproduites au tableau pour analyse par le groupe. Elles sont le point de départ, le prétexte au débat mathématique organisé, tout en exprimant la pensée mathématique du moment de l’enfant, c’est une expression personnelle qu’il propose au groupe.
Et c’est pour éviter les confusions et amalgames, que nous appelons maintenant les séances de création mathématique « débat mathématique libre » (DML). (Nous : groupe de travail Méthode Naturelle Paul Le Bohec MNPLB)
Le DML est un travail de groupe où chacun apporte sa contribution en exprimant ses représentations mentales, ses idées sur le sujet, ses propositions… Les créations de départ sont observées, analysées, complétées, transformées au cours du débat et ainsi une pensée collective se construit, nourrie par les apports de chaque enfant et chaque enfant construit aussi sa propre pensée, par imprégnation, à l’aide de la pensée collective.
Le processus de création mathématique collective s’inscrit dans la durée, la répétition pour arriver à des apprentissages, dans le collectif. C’est au fil des jours, des semaines, des mois que se construisent collectivement les concepts. Tout le monde est pris en compte quel que soit le niveau des interventions.
Si l’enseignant décide d’interrompre ce processus, de mettre les enfants en recherche individuelle sur un concept entrevu, délibérément il casse, il interrompt le déroulement de la pensée du groupe, il oblige l’enfant à suivre un chemin, il le prive de la possibilité d’accumuler des éléments, d’emmagasiner toutes ces informations et de faire qu’un jour il fera des liens. (C’est sûr aussi qu’on ne peut pas empêcher un enfant de se lancer dans une recherche individuelle et qu’il faut lui donner les moyens de la réaliser, s’il le désire.)
Interrompre ce processus, c’est aussi se priver de voir aboutir les multiples recherches entamées par le groupe et il devient difficile de tirer des conclusions sur l’efficacité du travail du groupe car on n’a pas pris le soin d’aller au bout du tâtonnement expérimental du groupe qui est la Méthode naturelle.
Interrompre ce processus, c’est aussi prendre le risque de ne jamais voir traitées par le groupe toutes les notions mathématiques quelles qu’elles soient (fractions, nombres décimaux, volumes...).
En DML, le maître ne s’autorise pas à interrompre la pensée du groupe, au contraire, il favorise au maximum le travail du groupe, une façon très efficace de mettre en œuvre la Méthode naturelle.
La Méthode naturelle, c’est la Méthode naturelle de l’enfant, autrement dit pour le maître, c'est créer les conditions pour que l'enfant (ou mieux le groupe) crée sa propre méthode d'apprentissage. Le maître organise les conditions pour que le groupe fonctionne, et les enfants découvrent les concepts, chacun à leur rythme.
Le groupe permet l'expression des représentations mentales initiales qui sont ainsi mises en débat, en situation de bouger, d'évoluer. L’accumulation d’idées est essentielle pour que les liens se fassent.
Monique Quertier, le 29 septembre 2016
Le rôle du maître
« L’exploitation est, à mon avis, la maladie infantile de la plupart des enseignants.
Si le maître a peur de ne pas faire le programme, s’il craint de ne pas assez profiter de toutes les circonstances pour traiter « à fond » les questions, il se précipite sur toute amorce d’idée. Et les choses ne peuvent plus se développer harmonieusement car il contraint alors les élèves à inspirer un oxygène qui n’a pas été désiré. Des mécanismes fragiles se trouvent brisés, des démarches se trouvent stoppées. Si on ne laisse jamais les enfants librement expirer, ils finissent par mourir à l’école parce qu’elle n’est plus pour eux un lieu de vie naturelle. Elle ne permet plus de réinventer et de construire collectivement la connaissance.
Il nous apparaît qu’il peut exister une cohérence de la pédagogie Freinet. À notre avis, comme le texte libre écrit (le texte libre musical, corporel, juridique, scientifique...), le texte libre mathématique doit avoir également droit de cité. Pour nous, il se trouve à la base de la Méthode naturelle et à la source de tâtonnements expérimentaux infinis.
Mais de toute façon, nous sommes déjà persuadés qu’on se convaincra, un jour ou l’autre, de l’utilité et même de la nécessité de la Méthode naturelle, car elle est conforme à la vie qui est alternance, respiration. »
Paul Le Bohec, Tâtonnement expérimental ou Méthode naturelle ?, Nouvel éducateur n°45, janvier 1993 p.9-12