Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre
Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre

Jour de rentrée

 

Jour magique de la rentrée
Jour de plein pouvoir
Les enfants assis à leur table
Moi également assise, à mon bureau, face à eux
Silence total
Tous les yeux dirigés vers moi
Je sens que je domine : j’ai le pouvoir.
Mais les enfants ne sont pas pour autant soumis :
ils m’observent, m’analysent, m’étudient.
Et c’est là qu’il ne faut pas se tromper.

Souvenirs de ma première classe

J’ai eu la chance de rencontrer des enseignants Freinet durant mon année de formation professionnelle à l’école normale (1967/1968). J’ai découvert la pédagogie Freinet lors de mon premier stage d’observation et j’ai demandé à faire les deux stages suivants dans des classes Freinet, ceci en relation avec l’écriture de mon mémoire.

Une fois en situation dans mon premier poste, je savais que je ne voulais pas enseigner de façon traditionnelle. Mais arriver toute nouvelle dans une école bien « traditionnelle » en étant encore imprégnée de l’éducation reçue incite à la prudence.
Ma première classe ressembla aux classes voisines. À ceci près que je tentais de faire entrer la vie dans la classe : à côté des leçons collectives de français et de mathématique, j’installais progressivement le texte libre, l’écriture collective d’histoires et le travail individualisé qui me permettait de travailler avec des petits groupes.
C’était la première année de la suppression du samedi après-midi et de l’installation du tiers temps pédagogique avec la pédagogie de l’éveil, qui n’a d’ailleurs pas séduit les enseignants. J’ai bien évidemment profité de cette opportunité pour mettre en place les enquêtes qui intéressaient les enfants : plus besoin de saucissonner histoire, géographie, sciences en leçons programmées.

Cette première année fut une année de tâtonnements et d’essais d’ouvertures, tout en restant dans le cadre de l’institution. Pas de vagues… caractéristique de ma personnalité : ne pas trop montrer ce que je ne savais pas vraiment expliquer ou justifier.

Jour magique de la rentrée

C’est vrai, j’aimais les jours de rentrée. Peut-être parce que les enfants se préoccupaient beaucoup de moi, guettaient mes réactions, attendaient des informations. Ils avaient un peu peur, tout comme moi. Nous étions en attente les uns des autres : comment allais-je me comporter et comment les enfants allaient-ils s’ouvrir, se livrer ?

Peur de l’inconnu mais aussi excitation lors de cette première rencontre, tout allait partir de moi. C’était le début de l’aventure, les enfants étaient tout neufs à mes yeux, ensemble nous allions vivre un an, créer, apprendre, grandir. Il allait falloir tracer le chemin, non plutôt repérer le chemin qu’emprunteront les enfants de façon à pouvoir les aider, les pousser vers… nous ne savions pas encore où nous aboutirions, quelles découvertes nous ferions.
Mais j’avais une grande faim de ce qui allait arriver, c’est cela qui était excitant.

Il s’agissait ce jour-là de montrer quel rôle j'aurais tout au long de l’année, de montrer ma place. Me mettre en avant, oui mais pas en imposant mes connaissances. Montrer ma confiance en eux, ne pas montrer de doute quant à leur réussite future dans les apprentissages, être sûre de soi. Et ceci ne s’obtenait pas avec des discours ou des explications.

Il est vain de croire que l’on va faire passer un message en donnant des explications à ceux qui ne sont pas prêts à les entendre, le message peut être mal interprété. Je n’expliquais pas ce qu’on allait faire, on le faisait.

Il ne faut pas se tromper 

Ma préoccupation première : former le groupe, et la meilleure façon pour que les enfants soient mis à l’aise et commencent à sentir qu’ils appartenaient à un groupe, c’était de mettre tout de suite le groupe au travail.  Le travail ça guérit, ça vous fait grandir, ça participe à l’augmentation de la puissance de vie.

Donc premier jour de classe : écriture individuelle d’un texte, lecture de ces textes, mise au net avec mon aide, illustration et un débat mathématique libre à partir des créations mathématiques des enfants. Nous faisions connaissance lors de ces activités créatrices collectives.

Les enfants avaient eu ce premier jour la possibilité de créer, s’exprimer, participer à une réflexion en groupe au cours de laquelle j’essayais d’entendre chacun, provoquer les justifications, mettre en chantier l’interactivité… Les présentations étaient faites et les moteurs étaient en route !

Nous pouvions passer ensuite aux contraintes administratives : cahier d’appel, inscription à la cantine, listes, matériel, etc.

Et il n’était pas rare d’entendre les enfants dire à leurs parents à la sortie de l’école :
« Qu’est-ce qu’on a bien travaillé aujourd’hui ! »

 Monique Quertier, 13 juillet 2013