Une analyse de ma posture lors des débats mathématiques libres
« Le sixième point de la Méthode naturelle, c’est organiser les circonstances. Il faudrait être un catalyseur. Tu ne sers à rien, seulement si tu n’interviens pas, les choses ne se passent pas. Tu mets la situation en marche de telle façon qu’il y a une réaction. » Paul Le Bohec
C’était bien là toute la difficulté, trouver ma place, quand intervenir dans les débats et de quelle façon : un exercice qui demandait un effort intense de concentration.
J’étais là pour aider à ce que la pensée individuelle et la pensée du groupe se construisent. J’intervenais pour installer, provoquer les interactions entre les enfants.
J’observais le groupe, j’écoutais pour entendre les propositions susceptibles de déboucher sur une piste mathématique riche de potentiels … mais je savais aussi ne pas entendre.
Je plaisantais, je riais…
Je guettais tous les signes prometteurs : un froncement de sourcil, une main qui se gratte la tête, un début d’intervention…
Je m’efforçais de penser à l’idée mathématique sous-jacente aux propositions exprimées, tout en restant dans une prudente retenue.
Véritable travail d’équilibriste : je me sentais sur un fil, devant choisir dans l’instant quelle attitude prendre, quels mots prononcer.
Je rebondissais sur toute idée apte à conduire le groupe vers une découverte mathématique tout en prenant le soin de m'arrêter quand la pensée du groupe ne suivait plus.
Je laissais tâtonner, je poussais un peu pour que le travail avance, mais pas trop pour ne pas casser le fil de la pensée du groupe.
Séance après séance, les observations s'accumulaient, le fruit mûrissait. Un beau jour, il était mûr. Alors, je secouais un peu l'arbre et le fruit tombait. Mais si par hasard, j’avais mal jugé de l'état du fruit, le fruit restait accroché. Pas grave, je secouerai l'arbre un peu plus tard… C'est avec le temps et la pratique que je suis devenue de plus en plus habile en cueillette de fruits mûrs, et que je secouais l’arbre à bon escient.
C’était alors l’enthousiasme dans le groupe, la joie provoquée par la découverte. Le groupe et moi ne faisions plus qu’un. Instant magique !
Mais si je me trompais, les enfants s’arrêtaient de réfléchir, ne tenaient pas compte de mes observations. Qu’importe, le problème réapparaîtrait un jour prochain. Au fil du temps j’apprenais à sentir les moments où je pouvais intervenir et ceux où je devais abandonner les pistes.
C’est aussi avec le temps, la pratique et l’enrichissement de ma culture mathématique que je suis arrivée à oublier les objectifs mathématiques du programme : forcément le débat déboucherait sur ces concepts l’heure venue. Mon investissement était alors axé principalement sur l’organisation des circonstances, le fonctionnement du groupe, la circulation des idées, l’expression des pensées, l’observation de chacun des membres du groupe…
J’ai alors arrêté de penser continuellement à l'institution et à ses attentes. En effet en pratiquant la Méthode naturelle de mathématique héritée de Paul Le Bohec, j'ai pu observer que les enfants et moi parvenions à dégager non seulement les concepts prévus au programme de la classe, mais à beaucoup plus que cela. Je m'y suis alors pleinement investie.
Ainsi libérée, laissant la pensée du groupe suivre son chemin, me limitant au rôle de « catalyseur » comme disait Paul Le Bohec, j’aidais à faire démarrer les processus, les moteurs. De cette façon la pensée du groupe en même temps que les pensées individuelles se sont mises à galoper. Toute mon énergie était ainsi mise au service de la bonne santé du groupe, de l’observation et de la prise en compte de chacun… pas de soucis à avoir, en fin de compte les savoirs se construisaient.
Cela demandait évidemment une grande confiance dans les enfants, mais aussi en moi-même, confiance qui, j'ai pu souvent le constater, conduisait à la réussite de tous.
Monique Quertier, 24 février 2022