Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre
Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre

Méthode naturelle de découverte de l’abbaye de Maubuisson


Dessin d’imagination. Les enfants transforment les colonnes de l’abbaye en arbre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons mesuré la longueur de la grange avec nos pas.
Nous avons marché deux fois le long de la grange en comptant nos pas :
Sarah 66-71, Pablo 104-99, Julie 86-92, Maxime 86, Martial 84-86, Anna 64-74, Diane 74-89, Nine 86-64, Fanny 79-79, Rita 73-67, Marie 88-89.
Si chaque pas mesure 50 cm, comme nous avons fait en moyenne 80 pas, nous avons trouvé que la grange mesure environ 40 mètres.
Nous avons vérifié les dimensions de la grange dans la documentation de l’abbaye.
Hauteur sous poutres : 8,95 m
Hauteur au faîtage : 14,50 m
Largeur avec bas-côtés :15 m
Longueur : 40,50 m
Nous avions trouvé 40 m.

Pas mal notre estimation !

 

Récit de la mise en œuvre de la Méthode naturelle hors l’école

L’abbaye de Maubuisson, lieu historique devenu site d’art contemporain, a souvent reçu la visite de ma classe du temps où j’étais encore en activité. Lorsque j’ai pris ma retraite, Caroline Coll, conservatrice de l’abbaye m’a demandé si je voulais bien animer un stage d’enfants durant les vacances scolaires. J’ai tout de suite vu là l’occasion d’expérimenter une méthode naturelle d’apprentissage avec un groupe d’enfants multi-âge, remplaçant la classe unique que je n’avais jamais connue dans ma carrière et de plus sans aucune contrainte institutionnelle (espace, horaire, programmes…).
Les stages ont lieu à l’abbaye de Maubuisson quatre fois trois jours dans l’année, durant les vacances scolaires. Ils sont ouverts aux enfants de cinq à onze ans par groupe de dix à douze.

Objectifs et contenus des stages

Mon intention est que les enfants découvrent l’abbaye et son parc d’une façon naturelle, c’est à dire en se laissant guider par leurs sens, en prenant le temps de voir. Chaque stage a un thème d’étude choisi par les enfants stagiaires, en fonction des premières impressions : l’architecture, l’eau, l’historique de l’abbaye, la flore du parc, la faune, les bruits, les matériaux, l’exposition du moment…
Pendant les visites, les enfants sont amenés à sentir, observer, décrire, commenter, analyser, prendre conscience des lieux. Ils sont invités à exprimer leurs observations, leurs découvertes, leurs impressions, leurs sentiments sous la forme d’écrits, de dessins, de montages de photos prises par eux, d’enregistrements…

Les enfants sont les colonnes du réfectoire.
Ils matérialisent le bâtiment disparu.

Chaque enfant stagiaire participe à la mise en forme de la production collective du groupe (compte-rendu, histoire, création poétique ou graphique…) à l’aide d’un logiciel informatique de présentation multimédia.
Le document créé sur cédérom devient ensuite un outil d’aide à la visite de l’abbaye. Il peut être consulté dans l’espace patrimoine de l’abbaye. Chaque stagiaire reçoit le cédérom qu’il a contribué à produire.

Former le groupe, donner la parole aux enfants, faire naître les questionnements

Aux premiers instants d’un stage, les enfants ne se connaissent pas et n’ont aucun lien entre eux mis à part le fait qu’ils sont ensemble à l’abbaye. Pour moi, l’important c’est que le groupe se forme très vite en un vrai groupe, c’est à dire un groupe qui fonctionne avec des interactions entre enfants, un groupe où chacun s’exprime librement, est écouté de l’autre, apprend de l’autre. Je place donc immédiatement les enfants en situation d’auteurs en faisant naître des petits débats à partir des premières observations. Je réserve à plus tard les présentations de chacun et l’énumération des règles de vie pour les trois jours. Nous entrons tout de suite dans le vif du sujet, c’est pourquoi nous restons à l’entrée devant la superbe grange (je dois rappeler les enfants déjà partis devant sans rien avoir regardé). Les premiers échanges sont très importants pour constituer le groupe et souvent le thème du stage se précise à ces moments-là.

Je force le regard en demandant aux enfants de parler de ce qu’ils voient. Ils observent, ils décrivent. Et c’est en décrivant ce qu’ils voient que naissent les questionnements et les premières analyses pour trouver des réponses. Je ne cherche pas à les conduire vers une connaissance particulière ni à donner des réponses. Je les laisse s’exprimer, dire tout ce qu’ils croient. Je m’efforce d’entendre tout ce qui est dit et je demande des justifications. Chaque affirmation d’un enfant, même si elle paraît inadaptée à l’objet regardé, est toujours fondée sur une connaissance propre à l’enfant et c’est cette connaissance qu’il faut laisser s’exprimer afin que le groupe la critique, la modifie, l’enrichisse. Les enfants comprennent vite qu’ils peuvent tout dire, parler de tout mais ils apprennent aussi très vite à choisir leurs paroles parce qu’ils devront ensuite la justifier. En quelque sorte, nous jouons aux archéologues : observation, description, questionnement, émission d’hypothèses et ensuite recherche de réponses par l’étude des documents ou en questionnant des spécialistes.

Voici un exemple des premières paroles échangées entre nous devant la grange, lors d'un stage. On peut déjà voir les thèmes qui seront abordés dans le cédérom que nous allons concevoir.  Grâce à la visite au service archéologique, à la consultation des documents et à l’examen des maquettes, les enfants trouveront des réponses à leurs questions.

Le bâtiment est grand, il sert peut-être à ranger du foin (les enfants ne connaissent pas le nom du bâtiment).
Examen du toit : la mousse et le grand nombre de tuiles.
Je porte sur mon dos des dizaines et des dizaines de tuiles.
Ce sont vraiment des tuiles ? On dirait des pierres. Nous regardons tous les toits autour de nous.
Énumération de toutes les sortes de toit : chaume, ardoise, pierre, lauzes (nous profitons du savoir de chacun), tuile, béton pour les toits plats des immeubles, métal, glace pour les igloos (les enfants dessineront ensuite des habitations avec des toits différents).
Le dessous du toit : plusieurs épaisseurs de tuiles (nous prenons des photos).
Le toit de la tourelle est différent. Il n’a pas la même couleur.
Essai de datation du bâtiment : moyen-âge, XIVe siècle.
Discussion pour les dates de début et fin : 1300, 1301 jusqu’à 1400 ?
Qui habitait là ? C’est en relation avec la religion parce que ça ressemble à une église.
Des filles qui se protégeaient des hommes venaient s’y cacher.
Les pierres, on voit les vieilles et les neuves. Les neuves sont taillées, les pierres anciennes, on les trouvait comme ça, on ne les taillait pas, elles étaient utilisées comme on les trouvait.
Mais où les trouvait-on ? Et comment on taille les pierres ?
Nous passons devant le panneau d’infos : bref regard, trop à lire… nous passons.
Le long du canal : un canal, c’est construit par l’homme, pas comme les rivières, les fleuves, les mers.
Sens du courant : l’eau va de l’abbaye vers… où ?
Regard vers la tourelle : fenêtre et pigeons… C’était peut-être une tour pour des prisonniers.
Photo avec zoom pour essayer de voir comment sont les tuiles de son toit.
Les bancs sont en béton peint. Ils n’étaient pas là à la construction de l’abbaye.
Le banc est de notre époque, il est là pour décorer.
Je trouve qu’on le voit trop, il aurait dû être vert, mais on ne l’aurait pas vu…

La construction de l’abbaye, c’était quand ? On aurait dû lire le panneau tout à l’heure, peut-être que ça le disait (les enfants commencent à éprouver le besoin de savoir l’âge de l’abbaye et regrettent de n’avoir pas lu le panneau).
Écoute des chants d’oiseaux et essai de repérage des oiseaux.  Chants mélodieux, doux ou comme une grenouille, des croas.
Au loin les enfants voient un autre panneau d’informations, ils s’y précipitent (ils savent ce qu’ils veulent y trouver). Repérage des dates, plein de dates… alors il faut quand même lire pour savoir quelle date choisir.
C’est 1236. C’est une abbaye royale construite par Blanche de Castille. Mais qui est Blanche de Castille ?…

Quand nous arriverons dans la salle qui nous sert d’atelier, nous listerons collectivement toutes les questions posées lors de cette première découverte qui a permis non seulement de faire naître des questions mais a contribué à la formation du groupe : chaque intervention d’enfant a été prise en compte. Quand un enfant dit que les tuiles ressemblent à des pierres, un autre lui répond que ce n’est pas possible d’avoir des pierres sur le toit. Un autre dit qu’à la montagne, il y a des lauzes sur les toits et cela nous conduit à regarder les toits alentour.
Parce que sa parole est prise en compte, l’enfant n’hésitera plus à s’exprimer, à dire sa pensée et le groupe vivra dans un réel échange constructif.

Savoir entendre les observations des enfants et organiser la recherche

Un autre stage, au mois d'août. Nous nous arrêtons devant la grange pour l’observer : impossible de la regarder, nous avons le soleil dans les yeux. Nous devons avancer un peu. Nouvel arrêt, le soleil nous gêne encore. Nous avançons encore un peu. Il nous faut nous rendre jusqu’à l’autre extrémité non sans réticence de la part des enfants, il fait très chaud ! Nous ne pouvons pas observer la grange : c’est la faute au soleil ! Mais une autre observation d’un enfant fait naître une problématique :

- C’est loin ! Elle est longue la grange.
- Elle fait au moins 3 mètres…
- Non, plus, 6 mètres… ou plus encore, mais pas des kilomètres.
- Et si on la mesurait ?
- Pas possible, il fau
drait un mètre.
- Je sais : on marche et on compte le nombre de pas et après on mesure nos pas.
- D’accord.

Les enfants s’exécutent : ils marchent le long de la grange en comptant leurs pas. Ils veulent recommencer pour être sûrs. Ils sont tellement absorbés par leur activité qu’ils ne se plaignent plus de la chaleur.

Les enfants marchent le long de la grange en comptant leurs pas.

Une fois arrivés dans la salle capitulaire, notre atelier, les enfants inscrivent tous les nombres trouvés, en font le total et la moyenne : environ 80 pas pour longer la grange.
Ensuite nous mesurons les pas de chaque enfant (il y a des petits et des grands), de nouveau nous calculons total et moyenne : environ 50 cm. Il ne reste plus qu’à multiplier. Tâtonnements pour les unités et nous avons notre estimation : 40 mètres.

- Oui mais comment faire pour savoir si c’est vraiment sa longueur ?
- On va aller demander. À qui ?

Nous nous rendrons au service archéologique situé dans l’ancien dortoir des moniales et chercherons les grandeurs de la grange dans un livre sur la construction de l’abbaye.

Un autre exemple, autre stage, toujours devant la grange

Les enfants observent le toit, qu’ils trouvent très grand !

- Il y a plein de pierres dessus…
- Non, des ardoises ! 

Après avoir énuméré toutes sortes de noms (briques, tuiles, ciment, pierres, bois…), nous choisissons « tuiles ».

- Quel est le nombre de tuiles ?
- Il faut les compter.
- Vous avez envie de les compter ?
- Oh ! non, c’est trop de travail.
- Moi je compte. 1, 2, 3, 4, 5… Oh la la, y en a trop ! 

Un enfant propose de dire un nombre à peu près, de faire une estimation. Et là, les propositions sont variées : 500, 1 million, 44.

- Moi je crois qu’il y en a beaucoup trop pour dire le nombre.
 - Il faudrait trouver une solution, par exemple, on compte une ligne, puis le nombre de lignes.
- Oui mais c’est encore trop !
- Moi je sais, on va demander à ceux qui habitent ici, ou à ceux qui ont construit la grange.
- Pas possible, c’était il y a longtemps.
- Oui. Mais quand ? Et d’abord qui habitait à Maubuisson ? Tu les connaissais Monique ? Ils sont morts quand ?
- Moi, j’ai entendu parler de Blanche de Castille, mais je ne sais pas qui c’est. 

On voit là qu’une discussion en observant le toit a fait émerger tout un questionnement varié : le nombre de tuiles, les matériaux, les habitants de l’abbaye, la date de construction de l’abbaye, Blanche de Castille.
Les questions sont posées, les enfants sont sur le chemin de la culture. Nous ne trouverons peut-être pas toutes les réponses à nos questions, mais un jour peut-être les enfants se trouveront en présence d’éléments de réponses qu’ils sauront voir.

Organisation générale d’un stage

En principe, le premier jour est consacré à la découverte du lieu. Nous nous promenons dans l’abbaye et je force les enfants à regarder et à décrire ce qu’ils voient.

En arrêt devant un mur de l’abbaye, les enfants observent les fenêtres en forme de meurtrière.
Ils analysent le mur : les pierres sont toutes différentes.

Et très vite ils remarquent des choses : un grand toit, une jolie petite fleur, une pierre sculptée… Moi je suis très attentive à tout ce qu’ils disent, leurs questionnements, leurs affirmations. Je les contrains à dire ce qu’ils croient et à justifier leurs propos. Les grands affirment, les petits les questionnent et les grands ne savent pas forcément répondre.
Un jour un grand a affirmé : La fenêtre est tournée vers l’Est. Un plus petit a demandé ce qu’est l’« Est ». Le grand a répondu : C’est ce qui est en face du nord. Un autre l’a contredit : C’est là où le soleil se couche. Moi je ne disais rien mais rendus dans notre atelier, nous avons sorti les livres et les cartes et nous avons orienté l’abbaye.

Les premiers propos des enfants vont complètement induire le travail durant les trois jours.
Le premier jour, visite et questionnements.
Le deuxième jour, essais de réponses avec les documents. Visite au service archéologique où un archéologue nous reçoit et répond aux questions que les enfants ont préparées. Dessins, photos.
Le troisième jour, scénario de notre récit, écriture des textes, dessins, enregistrements, début de mise en forme avec le logiciel de présentation multimédia.
Quand nous nous quittons à la fin du stage, le cédérom n’est pas prêt, je dois encore nettoyer les images et finir les montages et animations que les enfants ont prévues. Le cédérom leur sera remis environ un mois après au cours d’un goûter réception avec projection de notre travail, sur grand écran et en présence des parents.

Les stages ont lieu pendant les vacances mais les trois jours sont des jours d’activité intense, les enfants prenant très vite l’habitude d’observer, de commenter, de se poser des questions. Ils repartent chez eux nourris de savoirs, de savoirs vrais. Mais aussi et surtout ils ont appris à ouvrir les yeux, s’interroger, analyser et commenter : ils sont devenus acteurs et auteurs dans la recherche du savoir.

Essai de bilan

En six ans, vingt-quatre stages d’enfants encadrés à l’abbaye. Les stages sont toujours remplis, pas besoin de battre le rappel, le bouche à oreille fonctionne.
Le dispositif mis en place : un lieu d’accueil, un groupe d’enfants, un animateur régulateur du groupe (moi), tout simplement.
Je n’ai surtout pas d’idées préconçues sur des connaissances à acquérir. Les enfants sont placés dans un milieu et je leur offre la possibilité de s’y intégrer, de le comprendre en leur demandant d’observer, de décrire.
Je les mets dans la situation de faire émerger leurs représentations, de les exprimer au groupe qui peut ainsi réagir et les transformer.
Nous sommes dans un processus de méthode naturelle d’apprentissage : expression libre, émergence d’hypothèses, confrontation au groupe qui confirme, enrichit ou détruit les représentations, recours à des référents, personnes expertes ou documentation, de nouveau expression libre, présentation au groupe, etc.

Bref pas d’organisation en vue d’atteindre des connaissances programmées : nous vivons.

Monique Quertier

Croquis qui expliquent la construction de la voûte. Dans le cédérom, l’animation permet de suivre la construction.
Dessin d’imagination. Les enfants transforment les colonnes de l’abbaye en arbre.