Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre
Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre

Profiter des différences

Profiter des différences entre enfants dans un groupe

Dans un groupe les écarts entre les connaissances des enfants peuvent être très grands. Je vous propose ci-après le récit de l’étude d’une création lors d’une séance de DML. Ma préoccupation première était la formation du groupe de façon à ce que les échanges soient le plus efficaces possible : gérer la circulation de la parole, empêcher un enfant de la monopoliser, inciter les plus faibles, les plus timides à parler. Bref, construire un groupe positif.

Exemple du traitement de la création de Luc :

Nous sommes en CP, en mars. Un groupe travaille avec moi au tableau de mathématique. L’autre groupe est en autonomie sur fichiers.
Luc est un enfant en grande difficulté. Il ne maîtrise pas encore la comptine numérique jusqu’à neuf ni la graphie des chiffres.

Après un temps d’observation silencieuse, je donne la parole à trois enfants assez faibles qui disent ce qu’ils voient. Les paroles des enfants sont en écriture italique.

« Je vois un un, un trois, un six, un quatre, un deux et un cinq.
- Le trois et le six sont à l’envers.
- Il s’est trompé, le trois doit avoir son dos vers le couloir et le six son dos vers la fenêtre.
- Le trois doit regarder la cour et le six doit regarder vers le couloir.
- Bien oui, le trois et le six se tournent le dos. »

J’invite les enfants concernés à redessiner correctement les chiffres au tableau, et je demande ensuite à Luc de lire les chiffres. Il le fait, avec l’aide des autres.

Alors, un groupe d’enfants impatients commence à s’exprimer :

« Moi, je vois treize.
- Moi, trente-six.
- Et moi, quarante-deux. »

 Les plus experts sont restés encore silencieux, mais ils commencent à entrevoir une ouverture pour eux : la lecture de nombres plus grands. Je ne les regarde pas ou bien je leur fais signe discrètement d’attendre. Mais ils sont actifs : ils s’entraînent à lire silencieusement des nombres. À ce moment-là, nous sommes complices, ils savent que j’ai repéré leur savoir et qu’ils auront la parole bientôt.

Mais il est temps de faire parler les experts, les autres enfants ayant épuisé leurs observations.

« Je vois cent trente-six.
- Moi, quatre cent vingt-cinq.
- Trente-six mille quatre cent vingt-cinq.
- Et cent trente-six mille quatre cent vingt-cinq.
-… »

Luc et les autres écoutent, admiratifs. C’est important pour Luc d’entendre toutes ces choses savantes dites à partir de sa création. C’est pour lui une reconnaissance, une valorisation.

« Et si nous les écrivions ? »

Je prends en charge l’organisation en proposant aux enfants d’aller écrire un à un le nombre qu’ils ont vu. À tour de rôle, dans l’ordre où ils sont assis, ils vont écrire le nombre qu’ils ont repéré et ils le lisent. Certains proposent un nombre de deux chiffres, d’autres un nombre de trois chiffres, d’autres de quatre, voire plus, mais toujours dans la zone qu’ils dominent. Luc ira écrire à son tour : quatre au premier tour et treize au deuxième. Je suis intervenue pour organiser ce moment afin que chacun puisse s’exprimer, proposer, le groupe étant là pour aider les hésitants.

Au tableau maintenant, en vrac, une collection de nombres.

« Ce serait bien si on les relisait tous.
- Oui ! » (Cri unanime.)

Phase d’entraînement et d’évaluation : un enfant montre les nombres un à un, chacun lit un nombre, à son tour, avec l’aide du groupe éventuellement. L’exercice est individuel et collectif à la fois. C’est aussi une phase d’apprentissage. Tous les enfants du groupe participent.
Mais les plus experts ont déjà entrevu une autre piste.

« On pourrait les lire en commençant par le plus petit.
- D’accord, mais comment savoir ? »

S’ensuit alors un débat pour trouver comment s’y prendre.

L’étude de la création s’est terminée par le rangement des nombres du plus petit au grand, avec la découverte d’une technique pour pouvoir les ranger sans se tromper (prise de conscience de la valeur des chiffres selon leur positionnement). Les plus faibles n’ont pas beaucoup participé à ce classement, mais ils l’ont suivi, en spectateurs muets – et respectueux – mais sûrement actifs.