Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre
Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre

Création collective d’un album

L'histoire
et quelques exemples d'illustrations



Nico est un gentil petit garçon qui aime bien s'amuser et faire le fou. Ses parents le grondent souvent.


Alors Nico croit que ses parents ne l'aiment pas. Il veut apprendre à voler pour quitter sa maison.
- S'il te plait, oiseau magique, apprends-moi à voler.
- D'accord. monte sur mon dos.
Nico grimpe sur le dos de l'oiseau magique. Il agite le bras droit, puis le gauche, puis les deux ensemble, de plus en plus vite et tout à coup...
Nico s'envole...



Nico et l'oiseau magique volent côte à côte.
- Cui, cui, cui...
- Snif, snif, snif...
- Cui, cui, cui...
- Qui peut bien piailler si fort ?
- Qui peut bien pleurer si doucement ?
- Allons voir.
Sur le bord d'un nid, une maman oiseau donne la becquée à trois de ses oisillons. Mais dans un coin du nid, un tout petit oisillon pleure. Il est triste parce que sa maman le trouve laid et elle ne lui donne pas la becquée.
- Quand j'ai faim, chez moi, ma maman me donne toujours à manger, dit Nico.



Nico  et l'oiseau magique s'envolent plus loin.
- Tiens, une mare ! Si nous allions nous baigner ?
L'oiseau magique plonge dans l'eau et Nico le suit en fermant les yeux : il a très peur !


Une fois sorti de l'eau, l'oiseau magique s'ébroue. Mais Nico, lui, tremble. L'eau de la mare était très froide pour lui.
-Brr... Chez moi, dit Nico, dans la baignoire, l'eau est toujours chaude.



Nico et l'oiseau magique s'envolent plus loin. Ils arrivent au-dessus de la ville. Sur le trottoir, en bas, un pauvre monsieur dort. Son manteau lui sert de couverture et son sac d'oreille.
- Chez moi, dit Nico, je dors dans un lit bien douillet avec un oreiller et une couverture.


Nico et l'oiseau magique s'envolent encore plus loin, dans un pays où il y a la guerre. Ils rencontrent un enfant assis sur une pierre devant une maison en ruines.


- Pourquoi pleures-tu ? demande l'oiseau magique.
- Je suis orphelin, mes parents sont morts à cause de la guerre.
- Chez moi, dit Nico, mes parents sont toujours là et maintenant, je crois qu'ils m'aiment.



- S'il te plaît, oiseau magique, ramène-moi à la maison !

Nico et l'oiseau magique s'envolent vers la maison.

Histoire écrite et illustrée par la classe de CP de Monique Quertier avec l'aide de Nathalie Diéterlé, illustratrice.

Lors de la semaine du temps des livres, à l'automne suivant, le livre des enfants était présenté à la librairie Antipodes d'Enghien, ainsi que l'exposition de leurs peintures. Leur livre à côté des livres des adultes, belle reconnaissance !

 

Dans le cadre d’un partenariat entre les bibliothèques de la ville, l’éducation nationale et les auteurs illustrateurs de livres d’enfants, la conseillère pédagogique est venue me solliciter un jour pour lancer le projet d’accompagnement des enseignants et des enfants à l’écriture d’un album. Bien que les enfants de ma classe (CP) étaient des écrivains et que nous produisions déjà des albums, j’y ai vu tout de suite un grand intérêt, n’étant pas particulièrement habile avec le maniement des couleurs.
J’acceptais donc de recevoir dans ma classe Nathalie Diéterlé, auteure de la série des « Zékéyé ». Nous la connaissions parce que notre bibliothèque de classe possédait quelques « Zékéyé ».

Je n’ai pas tout de suite parlé aux enfants de la production d’un album avec une illustratrice. Je leur ai seulement annoncé que Nathalie Diéterlé allait venir nous rendre visite pour expliquer son travail. On ne décide pas de se lancer dans l’écriture d’un album si on n’a pas une idée du récit que l’on veut faire. Le thème de l’album collectif doit venir d’un choc, d’un évènement, d’une révélation, d’un désir et ma part du maître était d’être à l’écoute des enfants de façon à déceler cet évènement, à sentir quand une idée forte, une émotion, un désir… surgissaient dans le groupe. (voir texte de Paul Le Bohec ci-après). C'est pourquoi j'ai décidé de ne pas parler de la création possible d'un album.

En général la classe ne produisait qu’un seul album collectif par année car cela prenait beaucoup de temps pour la fabrication et réduisait trop à mon goût les temps d’expression création collective. Par contre, nous réalisions un journal de classe recueil de textes libres, faiblement illustré, trois fois dans l’année.

Histoire de l'écriture du livre

Nathalie présente sa technique de travail
Nous avons reçu Nathalie Diéterlé un jeudi après-midi de février.
Nathalie explique aux enfants comment ses livres sont fabriqués à partir de ses maquettes. Les enfants sont impressionnés par l'immense poster qui contient toutes les pages du livre « Zékéyé à l'école » : les pages sont dans tous les sens et ils ont bien du mal à comprendre que le livre sera reconstitué après pliage et découpage. Ils réalisent aussi que pour avoir plein de livres, il faudra faire plein de photocopies et que ce n'est pas Nathalie qui doit faire plein de fois le même dessin.

Vient ensuite le moment tant attendu où Nathalie va dessiner Zékéyé devant eux. les enfants s'installent en arc de cercle autour de Nathalie et elle dessine Zékéyé et le serpent au crayon. Puis elle sort les bambous et l'encre de Chine et commence à repasser les contours de Zékéyé. Et c'est maintenant au tour des enfants : un à un, avec beaucoup de précautions et sous le regard attentif du groupe, ils prennent le bambou et repassent un morceau du dessin en choisissant la grosseur du bambou selon le trait désiré.

Nathalie sèche le dessin avec un séchoir électrique pour pouvoir passer plus vite à la couleur.

C'est l'instant magique des mélanges d'encres pour trouver les bonnes couleurs. Chaque enfant prendra à son tour un pinceau et la couleur voulue pour remplir un petit morceau du tableau.

Voilà, le Zékéyé collectif est terminé, les enfants sont très fiers et très heureux quand ils apprennent que le tableau leur appartient et qu'il restera en classe.

Le lendemain matin, plusieurs enfants s'installent sur les bancs du coin regroupement avec des feuilles écrites, dessinées et pliées comme un petit livre. Nous les questionnons. Ils expliquent qu'ils ont fabriqué des petits livres pliés comme celui que Nathalie avait montré la veille. Chacun raconte son histoire. Mais une histoire attire l'intérêt de tous : un petit garçon veut apprendre à voler pour quitter sa maison et il demande de l'aide à un oiseau magique. Ils commencent à poser des questions : «  Mais pourquoi ? Ses parents sont-ils méchants ? Est-il malheureux ? A-t-il fait des bêtises ? » Puis certains s'expriment sur leurs relations faciles ou difficiles avec leur famille, allant même à dire qu'on ne les aimait pas à la maison. Je sens le groupe attiré par cette histoire. Le voilà l'évènement qui pourrait être le thème d'un album.
Je parle donc aux enfants de l'offre d'aide proposée par les bibliothèques de la ville. les enfants écriront avec mon aide une histoire et Nathalie viendra nous voir plusieurs fois pour nous aider à illustrer le livre. Les maquettes seront confiées au service de reproduction de la ville où le livre sera confectionné. Chaque enfant en recevra un, un vrai comme ceux des libraires, mais avec leur histoire.

Je retrouve les enfants après les deux semaines de vacances d'hiver. Ils n'ont pas oublié l'idée de l'album, ils en parlent en arrivant le matin. Nous nous mettons le jour même au travail, Nathalie ayant programmé une visite pour le jour suivant.

Je programme quatre moments dans la journée pour débattre, dans notre coin regroupement, afin de répondre déjà oralement aux questions qui ont émergé lors du choix du thème de l'histoire :
- Pourquoi le petit garçon veut-il quitter la maison ?
- Où ira-t-il avec l'oiseau magique ?
- Qui rencontrera-t-il ?
- Reviendra-t-il à la maison et pourquoi ?

En fin de journée la trame est prête :
Le petit garçon veut quitter sa maison parce qu'il croit que ses parents ne l'aiment plus. Il apprend à voler avec l'oiseau magique. Ils vont voyager et rencontrer des personnages malheureux comme le petit garçon. Ils plongent dans une mare et le garçon a froid. Ils rencontrent un oisillon qui pleure parce que sa maman ne lui donne pas à manger. Ils rencontrent aussi un homme sans abri qui dort sur le trottoir et un orphelin dans un pays en guerre. Le petit garçon aura envie de rentrer chez lui pour revoir ses parents.

Il nous reste encore un peu de temps pour décider du nom de notre héros : ce sera Nico.

Première intervention de Nathalie dans la création des enfants
Les enfants racontent l'histoire et nous nous attachons ensuite aux deux personnages, Nico et l'oiseau. Les enfants les décrivent, caractère et aspect physique. Riches de toutes les propositions faites en groupe collectivement, ils s'entrainent ensuite à les représenter individuellement sur papier avec crayon noir et feutres.
Vient ensuite l'affichage des dessins : 18 représentations de Nico et de l'oiseau. Les enfants s'expriment pour dire ce qu'ils aiment dans chacun des dessins et ils définissent collectivement les personnages. Nathalie dessine en grand Nico et l'oiseau au fur et à mesure que les enfants choisissent les éléments de la représentation. Les enfants comprennent que le lecteur doit reconnaitre Nico et l'oiseau sur toutes les pages même s'ils sont dessinés par des enfants différents.

Écriture de l'histoire
L'écriture se fait collectivement. En débattant, les enfants trouvent les idées, les phrases à écrire et moi je suis la secrétaire : j'écris l'histoire sur des grandes feuilles de papier au fur et à mesure de sa construction. J'apporte au groupe mes compétences pour améliorer la forme, enrichir le vocabulaire en utilisant le mot juste comme piailler, s'ébrouer, la becquée... mots qui seront bien intégrés correspondant à des images, des actions dont les enfants sont les auteurs. Les enfants prennent plaisir à apprendre des mots nouveaux, ils en réclament, ils veulent que leur histoire soit bien écrite. Ils m'ont demandé à plusieurs reprises de chercher dans mon gros dictionnaire s'il n'y avait pas un autre mot pour dire la même chose.
Le soir, les enfants collent dans leur cahier de lecture la feuille contenant le morceau d'histoire écrite. Ils l'illustrent, ce qui les entraine à dessiner Nico et l'oiseau magique. Le texte définitif est terminé quelques semaines après.
Durant ce temps, Nathalie est venue cinq fois une après-midi entière pour encadrer l'exécution des illustrations :

- Reprise de la définition collective de tous les personnages. Les enfants s'entrainent à les dessiner en respectant les caractères décidés en commun.

- Les enfants apprennent à utiliser les bambous et l'encre de Chine. L'histoire est découpée en 18 morceaux et chaque enfant a pour tâche d'en illustrer un. Ils doivent dessiner au crayon en utilisant toute la feuille dessin (format 32cm/50cm) puis repasser les traits avec l'encre et les bambous. Je reprends l'atelier dans les jours qui suivent afin que les dessins en noir soient finis avant la prochaine visite de Nathalie.

- Nathalie initie les enfants à la couleur, aux mélanges des couleurs primaires. Ils tâtonnent sur des feuilles d'essais et obtiennent de jolies gammes. C'est le régal ! Les enfants prennent beaucoup de plaisir aux mélanges. Nathalie avait préparé des photocopies des 18 dessins et les enfants ont pu remplir de couleurs ces dessins.

- Deux après-midi sont nécessaires pour la mise en couleurs des vrais dessins.  Le plus difficile est d'obtenir la couleur désirée. Il faut respecter l'unité de l'illustration et faire attention à ne pas déborder sur le trait noir. Nathalie travaille avec des petits groupes d'enfants (4 à 5), ce qui me permet de peaufiner le texte aussi avec un groupe plus petit.

Nathalie repart avec les maquettes au soir de cette septième visite, début mai. Il aura fallu trois mois pour réaliser l'album.
Les enfants sont très satisfaits du résultat et ils ont raison.

Remise du livre
L'aventure se termine par la remise officielle aux enfants de leur livre, à la bibliothèque, en présence de leurs parents. Les enfants s'installent sur les coussins et lisent leur livre avec émotion. Ils tournent les pages délicatement en ouvrant des yeux émerveillés.

La suite...
L'année scolaire qui a suivi, j'ai retrouvé les mêmes enfants maintenant en CE1.
Tout naturellement, les enfants ont parlé de Nico et ont exprimé le désir de prolonger ses aventures.
Sur le même principe d'organisation, nous avons produit l'album « Le pays de l'oiseau magique, suite des aventures de Nico », mais sans les moyens attribués pour le premier album. Nico voulait connaitre le pays de l'oiseau magique et il l'a suivi en Amazonie.
J'ai tout de même réussi à obtenir un petit budget pour la venue de Nathalie Diéterlé une journée au cours de laquelle elle nous a aidés à mettre en couleurs les maquettes. Il restait du papier et des gouaches de l'an passé. J'ai fait le tirage des pages au photocopieur couleur et l'assemblage avec la machine à relier de l'école. Résultat plus modeste dans l'aspect mais le chemin pour y arriver a été tout aussi formateur.

Monique Quertier

 

Albums d’enfants par Paul le Bohec

On peut ne pas avoir de projet défini pour faire un album mais il faut nécessairement être apte à déceler l’évènement, petit ou grand, qui tient en germe le développement du drame.
« Le talent est une longue patience. »

Qu’est-ce que la conception, biologiquement ? C'est une excitation, un ébranlement, un choc d'une cellule.
L'œuvre doit naître aussi d’un choc, d’un événement, d’une révélation. Mais elle n'arrivera à son terme qu'à la suite d’une longue maturation. Elle doit se nourrir du sang de la classe, enrichi lui même de l'apport que constituent les expériences de chacun, de ses contacts avec le milieu ambiant.

Il faut attendre le temps qu’il faut. Le meilleur de ce que nous avons fait dans ma classe a été longuement mûri, repris sans cesse, perfectionné, d'une semaine,  d’un mois et souvent d'une année à l'autre.
Généralement, nous achevons, au début de l’année, l’œuvre ébauchée ou presque achevée l’année précédente (nous laissons dormir pendant les vacances). Puis, nous entamons une histoire qui sera achevée l’année suivante par le CP devenu CE1.
Ainsi, nous nous racontons des histoires et nous les lançons dans la vie lorsqu’elles sont arrivées à terme. Il faut ce qu’il faut, il ne faut pas être pressé. Quelquefois, c’est assez d’une semaine, d’autres fois, il faut un jour… ou une année.

Le réel
Pour beaucoup d’entre nous, la poésie naît du quotidien, du réel.   Cela demande pour la découvrir, une grande tension de la part du maître.   Il faut que son œil, son oreille, son esprit s’affinent. Et, pour améliorer ses appareils enregistreurs, il lui faut travailler, travailler. Alors, il sera sensible à toute poésie et transmettra ses conquêtes à ses enfants. Nous devons les rendre sensibles, non pas par des mots, des flots d'éloquence, mais en action.
Ce qu'il faut, c'est partir de ce qui est et trouver ce qui touche, ce qui émeut, ce qui prend et ajouter au feu qui s'éprend quelques brindilles tirées de la vie de l’enfant et de ses camarades.

L'atmosphère poétique ne doit pas exclure le comique,  à condition qu’il ne soit qu’une touche légère.  II faut qu’il y ait coloration et non pas ossature.
C’est d’ailleurs vrai dans l’autre sens : une histoire comique peut avoir une aura poétique, mais légère,   infinitésimale, indiscernable.

Il doit y avoir le corps… et la parure.
– Je relis le poème d Aragon. « La Ballade de celui qui chanta dans les supplices ».
Tout y est dit en peu de mots et une seule chose est dite. C’est court, centré sur soi, riche, condensé.
– Je pense au concerto brandebourgeois n°6.
Un seul thème développé, agrandi, épanoui, puis résumé en une phrase : c’est fini, tout a été dit… et une seule chose.

Dans un autre ordre d’idée, et pour en revenir à quelque chose que je connais bien, la première version de Jean-Marie Pen Coat était une succession d’aventures plus ou moins abracadabrantes.
Élise m’a conseillé de n’en prendre qu’une et nous avons choisi la plus dramatique.
Court ou long, le texte doit avoir la longueur nécessaire et surtout avoir une unité.

Pour que l’œuvre soit une réussite, il faut que la beauté du texte s’allie miraculeusement à la beauté des couleurs,   des lignes, de la composition,  du papier.  Mais pour être beau, le texte doit allier miraculeusement l'émotion, l’ironie,  la naïveté,   la fraîcheur (et encore 20 qualités absolument indispensables).   Difficile,   très difficile mais tentant parce que difficile.   Les Everest tentent les hommes parce qu’ils existent ;  et impossible n’est pas École Moderne.

Paul Le Bohec
Article paru dans l’éducateur n°8, 15 janvier 1960, p.376