Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre
Pour que vive la Méthode naturelle telle que Paul Le Bohec la mettait en œuvre

Questions/Réponses

D'autres questions et réponses :
Comptes rendus des ateliers
- congrès de Lille 2011
- congrès de Caen 2013

à consulter dans le document
Réconcilier public et mathématiques
chapitre La mathématique libre

1. J’ai l’impression que ça part dans tous les sens. J’ai des difficultés à gérer toutes les idées proposées.

Le rôle du maître est de repérer, parmi les observations des enfants, l’idée qui interpelle le mieux, et de donner priorité à cette idée. Il recentre le débat sur l’idée, il ignore les observations qui s’en écartent trop, mais il entend tout ce qui peut le faire progresser. C’est au maître à veiller à ce que les enfants ne s’écartent pas du sujet en cours de discussion. Mais il doit aussi savoir interrompre une séance qui s’essouffle.

2. Je ne sais pas ce que je dois m’interdire de dire et ce que je peux m’autoriser à dire. Est-ce que je dois me contenter de faire préciser, d’organiser le débat et d’apporter le vocabulaire ?

Le maître est celui qui gère le débat, qui veille au bon fonctionnement du groupe mais en ayant le souci de faire travailler la pensée des enfants. S’il donne une réponse trop vite, les enfants ne débattent plus. Il doit être très attentif à tout ce qui se dit et réagir à la moindre réflexion pertinente. Ses paroles doivent provoquer la réflexion, inciter les enfants à penser. À une affirmation, il répond par une question : « Pourquoi dis-tu ça ? » ou bien : « Comment le sais-tu ? ».

 J’ai appris à rester à l’écart, aussi longtemps qu’il le fallait. Ma part s’en est trouvée réduite. À vrai dire, elle a changé de nature. J’ai perdu mon obsession cognitive directe pour me soucier prioritairement de créer les conditions d’une montée générale de la connaissance. Pour moi il ne s’agissait plus que d’être présent au groupe afin d’apporter une information, suggérer un pas de plus en soulignant d’un geste furtif la direction opposée, aider le timide, atténuer le dominant, entendre l’hypothèse murmurée, souligner positivement les interventions, faire le bilan rapide de ce qui avait été conquis, etc. 

Paul Le Bohec (L’école, réparatrice de destins ? p.14) 

La part du maître est de provoquer des interactions dans le groupe pour que l’apprentissage s’élabore « naturellement ». Quand un concept est découvert et que le maître introduit son nom, cela ne doit pas pour autant servir de prétexte à une leçon sur ce thème. L’important, c’est le processus lui-même, qui a conduit de la création de départ à la découverte de ce concept.

3. Un enfant ne parle jamais lors des séances de débat mathématique libre. Faut-il que tous les enfants du groupe s’investissent dans chaque création ?

Un enfant qui n’intervient pas dans le débat peut très bien participer silencieusement à la réflexion. Sous son air absent ou peu intéressé à ce qui est fait, il peut tout de même être attentif aux échanges et glaner à sa manière des informations.

Je me rappelle du cas de Cyril, un enfant qui est resté complètement muet durant six mois. Il produisait des créations lorsque c’était son tour mais jamais il ne participait au débat. Il écoutait semble-t-il. Un jour, les enfants avaient décidé de comparer plusieurs segments de droite. Méthode choisie : mesurer avec le mètre jaune gradué du tableau. Mais que de tâtonnements : les segments de droite avaient des longueurs très voisines, le mètre bougeait, les enfants n’étaient pas d’accord sur les mesures annoncées. Bref, il était très difficile de classer les segments. Alors Cyril s’est levé, il est allé dans le fond de la classe prendre le compas de tableau et sans rien dire a posé tour à tour son compas sur les segments de droite en modifiant l’écartement. Les autres enfants l’ont regardé, admiratifs. Cyril avait fait des liens : nous avions déjà beaucoup utilisé le compas pour construire et il avait compris, bien que cela n’ait jamais été formulé, que l’écartement du compas représentait une longueur. Nous lui avons demandé des explications, qu’il a fournies. Malgré cela, il n’a pas été plus loquace les séances suivantes… Il avançait en silence.
Le maître doit donc apprendre à distinguer les enfants qui ne travaillent pas de ceux qui participent en silence.

4. Un enfant monopolise la parole, parce qu’il est trop avancé par rapport aux autres. Comment gérer les grands écarts dans le groupe ?

C’est vrai que dans un groupe les écarts entre les connaissances des enfants peuvent être très grands. Mais c’est au maître de gérer la circulation de la parole, d’empêcher un enfant de monopoliser la parole et d’inciter les plus faibles, les plus timides à parler. Comment ?
Premier temps d’étude de la création : phase d’observation. Obliger les enfants à observer en silence. Puis commencer par faire parler les plus faibles, les plus timides. Ils peuvent tout simplement dire ce qu’ils voient. Et on peut leur demander plus de détails, une explication. Ensuite les plus loquaces ont la parole et parlent à leur niveau. Mais eux aussi, doivent justifier leurs dires. Le maitre doit veiller à ce que toutes leurs affirmations soient expliquées, ce qui peut souvent ralentir leur désir d’étaler leurs connaissances. Et tout comme ils ont respectueusement écouté les énoncés ou propositions des premiers, ceux qui ont parlé au début ne gênent pas le débat. Le maître est garant de la bonne écoute dans le groupe, il doit se donner les moyens de l’imposer.
Autre tactique possible : savoir repérer le moment favorable à une systématisation, un entraînement collectif suite à une recherche effectuée.

Pour illustrer cette question de gestion des différences, voir le document « Profiter des différences ».

5. Quelle est la place du calcul mental ?

Quand un enfant est amené à expliquer comment il a réalisé un calcul parce qu’il a été particulièrement rapide et efficace, le groupe étudie sa démarche. Et s’en suit une phase collective d’entraînement à l’utilisation de la technique orale découverte. Cela peut prendre quelques minutes seulement mais a l’avantage de concentrer l’attention du groupe.
Exemple d’organisation : les enfants parlent à tour de rôle, le premier propose le calcul, le suivant trouve la réponse et propose à son tour un calcul, etc.
Avec l’expérience, l’enseignant apprend à repérer les moments favorables à cet entraînement.

6. Le programme sera-t-il vu en entier ?

Si tous les jours  quatre à six créations sont étudiées, il y a forcément accumulation de sujets traités. De plus, les enfants abordent souvent des thèmes très éloignés du programme officiel. Le programme entier de la classe sera donc abordé en quelques mois et même largement dépassé.
Conseil pratique : après chaque séance, il suffit de noter sous le compte-rendu de la séance dans votre cahier personnel les notions abordées, et ensuite de renseigner une liste contenant tout le programme de l’année. C’est une façon d’indiquer la progression des concepts étudiés au fil des jours.
Le programme sera vu en entier par toute la classe. Ce qui ne veut pas dire que tous les enfants auront intégré tout ce qui a été évoqué. Mais pratiquer le débat mathématique libre permet à chaque enfant de rester le temps dont il a besoin sur une difficulté pour la résoudre.

Exemple :
Un jour Stanley propose une création qui est une histoire de courses mais avec des erreurs de compte, des confusions entre francs et centimes. La classe s’empare du problème et trouve des solutions. Stanley proposera la fois suivante encore le même type de création que la classe traitera en apportant encore des solutions. Les trois autres créations suivantes de Stanley seront du même type. Mais celle qui a suivi était une création géométrique. Après la classe, je n’ai pas pu m’empêcher de proposer à Stanley de résoudre un problème de courses : il a résolu mon problème sans erreur.
Les créations proposées par les enfants suivent parfois des modes, mais très souvent l’enfant projette dans sa création la difficulté qu’il essaie de surmonter.
Luc qui ne dominait pas la comptine numérique de un à neuf, ni la graphie des chiffres, proposait des séries de chiffres dans ses créations. Aline qui ne maîtrisait pas les noms des dizaines proposait des créations avec des 79, 87, 4-20-7, etc. Et ces enfants-là entendaient, retenaient du débat mathématique ce qui concernait leur problème.

7. Et l’évaluation ?

L’enseignant qui travaille tous les jours avec un groupe d’enfants en séance de débat mathématique libre arrive à avoir une perception très fine du niveau et des capacités de chacun des enfants.
Les enfants apprennent aussi à se connaître entre eux puisqu’ils font travailler leur pensée en s’exprimant au cours du débat mathématique mené, ceci dans un vrai groupe coopératif, positif. Objectivement, cela suffit.
Mais les contraintes institutionnelles vous obligeront peut-être à concevoir des livrets d’évaluation, ce que vous ferez alors non pas parce que c’est utile pour l’apprentissage, mais parce que c’est institutionnellement obligatoire.

8. Quand les enfants manipulent-ils ?

Les enfants ont libre accès au matériel, bien installé à l’endroit où ont lieu les séances de débat mathématique libre. Le matériel est au service de la Méthode naturelle de mathématique, c'est-à-dire qu’il est sorti au moment où l’on en a besoin pour aider à la compréhension d’une idée énoncée, aider à la résolution d’un problème, dénombrer, construire, représenter, etc.
En dehors des séances, les enfants peuvent manipuler, en atelier, des cubes, des réglettes, des plaques de construction, mais jamais en suivant la démarche éventuellement imposée par l’inventeur du matériel. La seule consigne, quand un enfant a fait une découverte avec un matériel, c’est de venir la présenter au groupe qui ensuite peut s’en saisir. Tout matériel est bon dans la mesure où on en fait une utilisation conforme à la Méthode naturelle d’apprentissage.

9. Quelle suite donner à une séance de création mathématique collective ? Faut-il prévoir des exercices ?

Les exercices systématiques proposés après les séances de débat, ça donne l’impression de l’exploitation grammaticale du texte libre. Là les enfants n’arrivent pas pour écrire, par besoin profond, mais pour donner une occasion de faire de la grammaire. Les enfants apprennent vite à se méfier. L’expression mathématique comme l’expression écrite, ça a à voir avec toute la personnalité de l’enfant, exactement au même titre.
Les enfants en autonomie peuvent travailler sur des fichiers, pour avoir, à côté de l’activité de recherche en ouverture qu’est le débat mathématique libre, une activité d’exercisation, de consolidation qui a aussi le mérite de rassurer.

10. Ils ne proposent que de la géométrie !

C’est que la géométrie, dans l’esprit d’un enfant, est proche du dessin, qui lui est familier. Les créations mathématiques suivent des modes. Mais comme pour toutes les modes, le temps modifie les choses. Si l’enseignant le juge nécessaire, il peut tenter de « prendre la tangente ». À lui de guetter dans une création une ouverture possible qui soit numérique par exemple. La question sera alors pour lui : comment transformer une création géométrique en étude numérique (compter les côtés, mesurer les longueurs, etc.) ?
Quand les enfants ont un peu tâté des nombres, ils prennent plaisir à les manipuler. Il se peut que surgisse une nouvelle mode, celle des suites de nombres par exemple. Il faudra bien alors être patient et guetter la petite ouverture qui permettra à nouveau de changer de registre.
Une précaution à prendre : lorsque la consigne de départ est donnée le premier jour, ne pas parler de lignes et demander aux enfants de faire une création sur leur carnet avec uniquement leur crayon : « Avec des chiffres, des signes, des points, des traits, faites une création mathématique. »

11. Nous avons passé tellement de temps sur une création que nous n’avons pas examiné toutes les créations du tableau.

Le temps passé sur chaque création peut être très différent, quelques minutes ou bien une demi-heure ou plus, si l’intérêt est grand. Si trop peu d’enfants s’intéressent à la piste lancée, il ne faut pas hésiter à l’abandonner et à passer à la création suivante. La part du maître ici est importante, il doit pouvoir juger si l’on doit poursuivre une piste ou s’il faut l’arrêter pour laisser en quelque sorte décanter.
L’important est de parler de chaque création. Quand le temps imparti aux créations s’est écoulé, alors prendre le temps quand même d’observer rapidement les créations restantes en faisant une description rapide. Lors d’une prochaine séance, si l’idée émergente d’une création non traitée est forte, elle ressurgira dans une autre création. Il est important pour les enfants que très régulièrement ils aient une création observée collectivement.

 …combien c’est important d’avoir une création à soi étudiée au tableau. Cela vous donne de l’importance, cela vous rassure en vous-mêmes, on vous attribue des intentions que vous n’avez pas eues mais vous les empochez tout de même. Alors même s’il n’y a pas d’interventions verbales, il y a un bénéfice personnel, un desserrement qui peut amener à plus de capacité d’utiliser ses moyens intellectuels. 

Paul Le Bohec (Lettre du 3 mars 1986 à Monique Quertier)

La pensée mathématique collective se construit d’une séance à l’autre, tout au long de l’année. Les créations étudiées doivent être des créations récentes, du jour même pourquoi pas, afin d’être enrichies des dernières remarques. Elles peuvent être écrites juste avant la séance, sans matériel.
Les créations proposées par les enfants ne sont pas des produits finis, des œuvres d’art à magnifier. Elles sont le prétexte au débat qui va suivre. Mais elles peuvent refléter le questionnement du moment de l’enfant, confirmer l’acquisition d’une notion découverte lors d’une séance antérieure ou bien montrer une avancée par rapport à cette notion découverte.
C’est pourquoi il est intéressant que les enfants fassent leurs créations sur un carnet réservé à cet usage, afin que l’on puisse voir l’évolution de leur pensée.

12. Peut-on faire de la géométrie à partir des dessins faits à main levée au tableau ?

Il n’est pas nécessaire que la représentation soit précise quand on fait des mathématiques. Si un enfant dessine un rectangle au tableau en disant que c’est un rectangle, tout le monde sait que c’est un rectangle. Et alors le raisonnement des enfants devient plus efficace car ils pensent, raisonnent à partir des propriétés mathématiques du rectangle et non à partir de son image.