J’ai fait toute ma carrière à Épinay-sur-Seine dans des classes très hétérogènes, mais très riches culturellement. J’ai toujours essayé de profiter de la richesse de chacun, car persuadée que chacun peut apprendre de l’autre. Ce qui m’a conduit à organiser ma classe en classe coopérative, organisation qui facilite la formation du groupe, un groupe positif, dans lequel chaque individu a son espace de liberté, de création et d’expression et peut être entendu par l’autre.
Chaque enfant a besoin de trouver sa place dans le monde pour s’y insérer. Pour cela il a besoin de sentir, de s’exprimer, de communiquer. Il doit maîtriser physiquement mais aussi mentalement son environnement. Il faut donner à l’enfant la possibilité d’analyser par lui-même le monde et il ne peut le faire que dans un espace où il est en sécurité, un espace où il a sa place et son rôle à jouer.
Le groupe classe n’est pas un ensemble d’individus mis côte à côte recevant des informations qu’ils essaient d’emmagasiner mais un groupe positif dans lequel chacun va donner et recevoir de l’autre. Pas de compétition mais de l’entraide. La classe coopérative est un lieu de vie où chacun a son rôle à jouer, l’enseignant y compris afin que les apprentissages puissent se faire.
Apprendre, c’est comprendre, analyser, penser
On ne pense pas à partir de l’information reçue mais à partir de sa propre connaissance. Un apport extérieur reste au niveau de l’information, ne devient pas un nouveau savoir s’il n’est pas mis en connexion avec le savoir, la connaissance de l’enfant, s’il ne répond pas à un véritable questionnement.
Dans un enseignement frontal, le message est reçu par l’apprenant, la connaissance est testée dans un exercice d’application mais le transfert n’agit pas forcément : la connaissance ne s’applique pas forcément à une autre situation.
La difficulté est donc de mettre en connexion la connaissance de l’enfant et l’information dont il a besoin.
Il faut donc s’arranger pour que chaque enfant ait la possibilité d’exprimer sa propre connaissance : lui donner la possibilité de faire émerger ses représentations mentales initiales.
Je voudrais à cette occasion rendre hommage à Pierre Guérin qui vient de nous quitter. C’est grâce à sa brochure « Importance des représentations mentales initiales dans un processus d’apprentissage et expression libre », que j’ai pu commencer à comprendre moi-même comment on apprenait.
Importance du groupe
Les représentations mentales de chacun ne pourront s’exprimer que dans des situations réelles d’expression libre, ce à l’intérieur d’un groupe organisé qui lui apportera la contradiction et ainsi le fera aller plus loin dans sa connaissance. C’est là que se démontre l’importance de la formation du groupe.
Une fois que la pensée est exprimée, il faut la faire travailler pour que le savoir se construise.
Nous sommes en situation de Méthode naturelle d’apprentissage : l’enfant produit, crée, s’exprime, propose sa pensée, sa création, sa production au groupe. Le groupe reçoit, analyse, critique, enrichit. Le rôle de l’enseignant n’est plus seulement d’apporter des informations mais de faire jouer l’interaction entre les enfants du groupe. Quand il y a cette interactivité, on fait travailler la pensée, alors on pense, donc on apprend.
On apprend avec l’autre, on apprend de l’autre, pas en subissant, en étant passif mais au contraire, dans la création, dans l’expression.
Dans les moments d’échanges, l’enfant apprend à s’exprimer, à écouter l’autre. Il observe, analyse, exprime sa pensée sur ce qu’il voit ou ce qu’il entend, réagit, critique, mais toujours justifie sa critique. Se développe alors un réel dialogue où chacun se nourrit de l’expérience de l’autre. Dans ces moments naissent les vrais questionnements, c’est à dire ceux liés aux représentations mentales, aux savoirs existants. Charge à l’enseignant d’organiser la recherche des réponses à ces questions.
Expression profonde
C’est une pratique que j’aime appeler méthode individuelle/collective. L’enfant a la possibilité de s’exprimer, de penser, d’apprendre mais grâce au groupe qui l’aide à modifier son savoir : l’enfant propose au groupe, la confrontation aux autres permet analyse, critique, enrichissement (nécessité de prouver, démontrer), l’enfant retourne à sa création individuelle qui se trouve enrichie de l’apport des autres.
L’enfant ose parler parce qu’il sait que sa parole sera entendue. Il ne parle pas pour dire ce qu’il croit que le maître attend mais il exprime sa pensée profonde.
Les apports des enfants ne sont plus des « travaux scolaires », ils prennent la dimension de paroles de personnes et peuvent s’adresser à d’autres personnes. Chaque fois que les enfants s’aperçoivent que leurs apports sont pris en considération de façon authentique, sincère, sérieuse, ils se mettent à avoir à dire, à écrire, à faire. Et les acquisitions édictées par les programmes scolaires deviennent des conséquences de ces moments d’apprentissage au lieu d’être la matière à travailler.
Pour conclure : importance de la part du maître
Mettre l’enfant en situation d’invention, de création, d’expression libre où il peut exprimer ses représentations.
Permettre à l’enfant de proposer sa pensée au groupe.
Organiser le groupe afin qu’il puisse recevoir la pensée de chacun, qu’il devienne un groupe positif.
Permettre l’interaction entre les enfants.
Vivre…
Monique Quertier, juin 2006